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C’est le quatrième épisode d’une série que j’ai initiée il y a longtemps. C’est bien. Cela donne un air de consistance et de suivi à ce bordel de blog. La série a démarré il y a 10 ans. J’étais alors simple journaliste pop. Pas encore alchimiste.

C’était l’époque des subprimes, les bons subprimes. Depuis, nous vivons dans le temps apocalyptique. Personne n’avait prévu les subprimes. En tout cas personne dans les médias mainstream. A l’inverse, de nos jours, les spécialistes se précipitent en essains (comme des criquets) pour nous dire que la fin arrive.

C’est ce phénomène dont je voudrais souligner la nature proprement apocalyptique. La conversion de François Lenglet à l’esprit apocalyptique achève de me convaincre qu’il devrait bien finalement se passer quelque affreux crash financier à l’automne qui vient.

Car si mon Lenglet, si chauve et si sérieux, vient m’annoncer l’apocalypse sur tous les plateaux de télé (ici sur France 5) , ce n’est pas pour rien. En homme bien renseigné et très raisonnable, il doit avoir du biscuit sous le bras, étayé, substancié.

François Lenglet est le journaliste économique attitré de France 2, après avoir longtemps été à BFM. C’est le genre de journalistes qui permettent chaque jour au monde d’exister en entretenant la croyance en sa viabilité, nous assurant que la croissance est à l’horizon, qu’elle revient ou, au pire, que malgré tout, les fondamentaux sont stables. Mais là, non.

Qui croit encore en la vertu informationnelle des médias est naïf, surtout en ces matières complètement alchimiques que sont les équilibres macroéconomiques et géopolitiques. Une théorie naïvement correspondantiste des médias est une blague. La réalité est un cercle qui se construit, dont un des pôles intégrés est les médias.

En d’autres termes, quiconque d’un peu alerte sait qu’experts et médias ont cette fonction théologico-politique de nous faire croire à la stabilité du monde, à sa vivabilité, à sa justice. Car si le monde n’est plus assez juste ni vivable, il n’est plus stable, il s’effondre.

 

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Jérôme Bosch, Le Jugement dernier, détail.

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Quelque chose doit s’effondrer… peut-être que tout suivra

Quelque chose doit s’effondrer, nous dit François. On ne sait pas trop quoi mais ça va faire très mal. On a trop fait marcher la planche à billet, les quantitative easing, rachats de titres par les banques centrales et autres institution… tout est pourri/moisi, quelque chose doit s’effondrer, et après…. guerre? Non. Seulement des populistes hardcore, qui vont déplaire aux bobos et aux gens de gauche. C’est un trend désormais trop perceptible pour ne pas en parler, dit-il, en bon expert qui sait, à ses collègues journalistes qui savent moins, puisque seulement journalistes.

Il y a eu 60 – 70 de libéralisation des moeurs, maintenant, on repart dans l’autre sens, pour … pas trop longtemps, rassure-t-il ses confrères interloqués… (ce qui est piquant, c’est que ceci est à peu de choses près ce que l' »intellectuel attitré de Trump »,  Steve Bannon explique depuis longtemps, mais qui n’était pas validé par la voix d’experts raisonnables comme mon Lenglet…).

Donc pas de guerre, nous rassure Lenglet, bien que son schéma historique cyclique y ferait penser. En 1940, la situation était surdéterminée par la première guerre mondiale. C’est la seule borne que notre augure télévisuel met à sa libido apocalyptique. Mais tout de même un bel effondrement général, dont on ne sait trop ce qui va résulter au final…

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Progression vers la crise terminale du capitalisme?

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La convergence des crises

Là où il y a tellement de crises en puissance qui menacent de s’actualiser, dans ce monde tellement intriqué où tout est connecté, elles vont fatalement se déclencher toutes mutuellement dans un grand feu d’artifice. Dettes, maquillage des chiffres, subprimes mal digérés qui remontent à la surfaces, risques bancaires, risques monétaire, risque écologique, risque politique, brexit, populisme, risque géopolitique, la Chine, l’Europe, risque absolu, saturation du risque.

 

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Hypothèse complotiste

Je dis à mon cousin que ça y est: Ses amis du think tank x ou y lui ont dit (à Lenglet): Ecoute, c’est le moment où tout devrait péter, alors va annoncer l’apocalypse, comme ça tu affoles bien tout le monde, effet de panique, déclenchement et effondrement contrôlé, vente de titres, on s’en met plein les fouilles, tu montres que tu es plutôt bien informé, tu prends une option sur la catastrophe… et les yachts sont près à partir pour les îles caïman, rejoindre des potes illuminati, genre Marc Faber (oiseaux de malheur2).

Mon cousin me trouve un peu complotiste.

Peut-être.

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Signe des temps: les essains d’experts apocalyptiques

Mais il n’en demeure pas moins que les signes sont là, surdéterminants. Et en premier lieu, le trend grossissant des experts qui comme Lenglet, annoncent l’apocalypse financier, dans ce monde emminemment performatif qu’est la finance mondiale et la géopolitique mondiale. Signe d’autant plus apocalyptique que ce monde repose sur une surenchère spéculative monstrueuse, une expansion monétaire et financière unique dans l’histoire de l’humanité (et ceci maximise la valeur performative de l’expert/des médias). Autoréférencialité et vide de l’information, vide de la référence, monnaie sans fondement.

Certes, c’est depuis longtemps un bizness que d’annoncer l’apocalypse financier, économique et géopolitique. Marc Faber, l’apocalypticien helvétique le plus notoire, le fait avec constance et sans doute depuis le début de sa carrière. Myret Zaki, patronne de Bilan, avait annoncé en 2009  la chute du dollar pour 1914, mais elle peut toujours arriver… Sans parler du site zerohedge, tenu par des traders libertariens, sans doute vendeurs d’or (que j^étais naïf quand je me relis). Mais aujourd’hui légions et essains de Lenglet grossissent exponentiellement. Et les analyses  alarmistes convergent parce que les analyses alarmistes convergent.

Pas besoin de citer des stars comme George Soros ou Jacob Rothschild qui annoncent chaque année le chaos du haut de leur position privilégiée, sans doute plus informés que Lenglet, et conscients aussi de la performativité maximale de leur parole de cadores. Il suffit effectivement d’ouvrir son journal ou la télé pour observer l’essain grossissant des experts apocalypticiste comme Lenglet.  Et puis cet apocalypticisme financier se transpose dans la politique et fait prendre des accents de Cassandre à tous les pilliers du monde tel qu’il est, Macron par exemple, sur le mode de « Moi ou le chaos ».

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Signe des temps: les banquiers apocalyptiques

A peu près tous mes amis banquiers admettent que l’on ne sait rien sur rien, et que tout peut arriver. Il y a quelques temps, j’ai rencontré des banquiers bourrés devant un gala d’une des deux grosses banques privées de la place genevoise. Je leur ai demandé s’il avaient de l’argent pour financer mon travail alchimique. Il se sont esclaffés et m’ont assuré qu’il n’y avait plus rien dans les caisses. Les voyant de si bonne humeur, je leur demandai quand était prévue la catastrophe finale. Septembre-octobre 2019 me répondirent-ils sans réfléchir.

C’est vrai que ça collerait. Deux ans après l’arrivée de Trump au pouvoir, au moment où le Brexit pourrit mais de chez pourri, les populistes en Europe, etc. On pourrait encore dire que c’est à cause d’eux. Accuser les effets et taire les causes profondes. Ou accuser les causes superficielles et taire les causes plus profondes.

L’apocalypse est une chose très sérieuse et actuelle, et je m’enorgueillis d’avoir définitivement développé une pensée de l’apocalypse, dans beaucoup de ses dimensions, sur interstrate. Cette pensée ouvre une brèche définitive dans le silence sur ce sujet dont le surgissement est pourtant exponentiellement massif. Et cette pensée est phénoménologique et esthétique, avant d’être politique ou sociologique. Si elle parle de l’actualité, c’est avant tout pour élucider la forme de conscience que nous avons et la forme de l’apparaître du monde en ces temps. Et cette forme ressemble à celle que développaient les sectes gnostiques apocalypticistes des débuts de notre ère.

 

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Apocalypticisme: précision sur le terme

Mais posons un peu les choses. Je ne suis pas un apocalypticiste vulgaire qui vous annonce, au sortir de votre hypermarché préféré, que la fin du monde arrive, témoin de Jehovah ou Mormon. Non.

L’apocalypse pour moi, c’est quand plus personne ne croit au monde, et qu’en conséquence le monde s’effondre. Le monde est immonde, dirait Bernard Stiegler. Ce fait est à la fois politique, éthique, existentiel, mythologique et religieux. Et avant tout phénoménologique. Avant, c’était une lubie d’allumés ou de moralistes, comme Stiegler justement ou, en plus drôle, Jean Baudrillard. Petit à petit, cela a émergé dans la réalité.

Et le spectacle de plus en plus évident d’un monde qui ne sait comment trouver le sens qu’il peut avoir et par là devient effectivement immonde, cela a quelque chose d’attrayant pour tout le monde. Schadenfreude. Parce que tout le monde en a rêvé, comme dirait mon brave Jean Baudrillard, paix à son âme.

L’apocalypticisme, c’est de vivre au jour le jour, sans possibilité d’envisager l’avenir, comme de plus en plus de gens concrètement vivent, travailleurs exploités, à tous les niveaux pressurisés, employés, chômeurs, managers, victimes ou  persécuteurs auto-aliénés, présidents de groupe, nantis qui se mettent la pression parmi, Macron, Elon Musk, etc…

Bref, c’est le destin de beaucoup plus de gens qu’on croit -gens dont on fait partie souvent sans le savoir, que de vivre dans état d’esprit apocalyptique. C’est pour cela qu’Interstrate pense pour vous l’apocalypse.

Quand à savoir si c’est pour cette année, la prochaine, dans 10 ans ou 20 (qui sait), cela n’a pas vraiment d’importance. Je vous parle de maintenant et de ce que nous vivons maintenant. Et comme je le disais il y a quelques temps, le discours apocalyptique pourrait avoir paradoxalement une vertu stabilisatrice, par son effet de sidération, notamment.

Et je sais aussi, amis philosophes, qu’il y a encore des choses à préciser et rassurez-vous nous le ferons, et un jour, tout deviendra clair, comme dans le ciel des idées ou celui des propositions vraies et non ambigües.

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L’Apocalypse de Jean

Quand je parle d’Apocalypse, je parle de l’idée d’une catastrophe brutale, qui nous hante, et non, littéralement, de la suite de monstres et d’évènements terribles que nous décrit le livre de l’apocalypse de Jean ou d’autres écrits apocalyptiques.

Mais il y a certainement quelques choses analogues dans le scénario de l’actualité actuelle, avec ce récit fantastique à multiples rebondissements du livre de l’apocalypticien Jean.

Exemple: quand l’apocalypse a-t-il commencé? (quand avons nous commencé à envisager la Catastrophe?) Bonne question. Il y a 10 ans, avec les supprimes? 20 ans avec le 11 septembre? 200 ans avec la révolution industrielle? 500 ans avec la renaissance?

Etymologiquement, l’apocalypse est la révélation, le dévoilement. C’est aussi une purge de l’injustice et du mal du monde. Tout ce processus de fin des temps est un dispositif servant effectivement à révéler les bons et les mauvais en un temps d’incertitude morale (le bouillonnement spirituel et politique qui avait lieu entre la Palestine en révolte et le nouvel Empire romain). Et c’est un processus très incertain. Il va falloir choisir son camps dans un moment d’incertitude. L’antéchrist sera séduisant comme diable mais ressemblera au Christ. Qui pourra vraiment discerner l’un de l’autre?

La catastrophe, c’est aussi certainement le retour du réel, face à un ethos techniciste qui nous a privé et séparé de la réalité de notre vie, de son sens, et de la possibilité de définir le bien et le mal. Tout vaut tout. Sans boussole nous errons, et le monde est malade de l’impossibilité de l’action, et de l’impossibilité de la responsabilité (organisées tacitement par nos élites , disent des chercheurs iconoclastes comme Christophe Guilluy).

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Gongluzion:

 

Le concept d’apocalypticisme d’interstrate essaie de rendre compte de l’incertitude, de la fatigue et du balancement moral qui naît en période de la décadence du progrès. Le progrès est malade depuis quelques temps: il ne parvient plus à se mettre en scène comme bon et désirable. Quand c’était encore le cas, nous n’étions pas dans l’apocalypse, mais nous étions dans une fin des temps heureuse (Cf Francis Fukuyama et sa fin de l’histoire), une utopie. Nous étions dans un mythe purifié du mal radical…

Mais dans l’incertitude, voilà l’idée de la catastrophe et le sentiment apocalyptique qui se font jour. Ainsi, tout le passé est interrogé et devient problématique. D’où arrive les question: Sommes nous dans l’Apocalypse?, Quand a commencé l’apocalypse? Et même, qui pourrait-être la bête, qui serait l’Antéchrist, Gog et Magog, comme le font les Témoins de Jéhovah ou les « complotistes » de tout bord (et l’on pourrait y inclure Macron, trouvant sa bête dans les méchants populistes ou, symétriquement, Devilliers et son livre « révélateur » et très bien documenté sur les origines (mauvaises) de l’UE).

Finalement, l’Apocalypse pourrait être défini comme l’émergence de ce complexe de questions effrayantes et de réponses (encore plus effrayantes)… Ou est le bien, où est le mal?

Mais pour l’instant contentons-nous de prononcer ceci avec François Lenglet, pour être en communion mystique avec l’air du temps:

Quelque chose doit s’effondrer. Par suite d’autres choses devront s’effondrer.

 

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