Quoi de plus beau, quoi de meilleur que la fin du monde? Quel plus grande honneur que de finir avec l’univers? L’idée fantasmatique de la fin généralisée parvient enfin à réconcilier les tendances contradictoires du narcissisme individuel et du besoin d’appartenance collective. C’est peut-être même une sorte de drogue qu’on nous inflige, et qui nous rend euphoriques et efficaces. Ou alors stressés et étourdis.

Tous les évènements se bousculent à tous les niveaux, dans tous les systèmes saturés par l’entropie. Mais le système peut-il s’effondrer? Vivons nous une certaine forme d’apocalypse? Je croyais que non, il a quelque temps. Comme la plupart des spécialistes médiatiques dont je ne suis pas. Car l’idée de l’apocalypse a paradoxalement des vertus stabilisatrices.  Donc je pensais que nous étions dans un système fantasmatiquement apocalyptique mais hyperstable, et pour cette raison même.

Mais peut-être que ce que l’on appelle désormais la convergence des crises est en train de changer la donne. Maintenant les « experts » ont peur en direct sur les plateaux, Macron parle de guerre, Trump menace la Chine. Les chaînes d’info continue parlent de krach boursier…

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L’idée de la fin, si logique dans l’hypersystème global, était stabilisatrice à faible dose: inscrite dans la logique même de ce système de bouleversement permanent, elle lui permettait d’avancer et avait une vertu dissuasive. Il fallait que tout le monde accepte ce qui était imposé car nécessaire, parce qu’il ne pouvait y avoir rien d’autre que ça (there is no alternative). Aucune alternative, sinon la fin redoutée, impensable, soit l’indicible de la mondialisation capitaliste (catastrophes, guerres, retribalisation, qui longtemps se contentait de saturer la fiction, cinéma, jeux vidéos, musique).

Mais comment un tel hypersystème, soit l’imbrication globale de systèmes de plus en plus connectés qui doivent précisément leur stabilité à la nécessaire croissance de l’imbrication globale, peut-il ne pas s’arrêter un jour?

Et sachant que l’arrêt du système est logiquement sa fin, comment cette idée de la fin du système peut-elle ne pas s’imposer à un moment bien au-delà de la faible dose nécessaire? Et comme elle se propage massivement et sature complètement l’espace médiatique global, elle devient alors un facteur exponentiel de déstabilisation aux effets potentiellement apocalyptique, tout à fait imprévisibles (soit le contraire de sa vertu stabilisatrice)

Le fantasme de la catastrophe finale, réelle ou non, est le moteur de l’économie financiarisée (qui est une partie de l’hypersystème global). Et ce qui a été fait ces 10 dernières années en matière de dette et d’économie virtuelle est absolument inédit dans l’histoire. Tous les experts et gourous patentés disent que c’est une bombe à retardement, annonçant les pires catastrophes depuis deux ans, 10 ans, 20 ans. Et pourtant cela rebondissait toujours, et plus haut, jusqu’à cet hivers. Les programmes divers d’assouplissement économique, de taux négatifs, rachat de dettes et d’actions tous azimuts dans tous les pays permettaient sans doute cela.

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Schéma de base de la théorie des système/théorie de l’information qui sert à la fois à construire la réalité et à la décrire, depuis 40 ans aux managers et technocrates (et à laquelle je me réfère, parce qu’on a pas le choix, en parlant de « systèmes »).

Peut-être que nous sommes en état de saturation telle de tout côté (la finance n’est qu’un des aspects… il y a la saturation politique, les populismes, l’Europe dont on ne voit pas comment elle pourra survivre à la contradiction entre les demandes des pays du sud (dépenses) et celles des pays du nord (économies), les hostilités commerciales entre Etats-Unis et Chine, etc etc, etc…

Alors sommes nous à la veille de rencontrer le cygne noir total? Le cygne noir, selon Nicholas Nassim Taleb c’est justement la convergence des crises au niveau économique et financier, soit la crise systémique. Et l’on professait avant 2008 (dans le Temps, The Economist, les Echos et ce genre de publication) que la crise financière systémique n’était plus possible car « les risques étaient trop bien répartis »! Or elle est arrivée, et pour la raison même dont on supposait qu’elle était impossible (les risques trop bien répartis).

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Mais le prochain krach, ce sera plus que ça, notamment parce que si un krach arrive maintenant, les états ne pourront vraisemblablement plus sauver les banques et autres institutions qui tomberont. D’où l’idée inquiétante d’une convergence majeure de toutes les crises, politiques, financières, économiques, écologiques, politiques, etc.

Mais qui sait quelles sont les ressources d’un hypersystème hyperintégré? Peut-être que cette frousse de noël engendrera dialectiquement une réaction salutaire de peur qui pourrait nous faire repartir pour quelques années dans un trend de croissance morose mais positif (c’est à dire que l’idée apocalyptique de la fin du système reviendrait à des niveaux raisonnables, retrouvant son caractère stabilisant)… Je ne vois pas comment ce serait possible, mais qui sait de quoi la réalité est capable?

 

PS: Interstrate vous souhaite de bonnes fêtes et vous remercie pour votre attention.

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