Je vous présente ici une vidéo de Miley Cyrus qui a le mérite de nous plonger les yeux dans la réalité. La réalité de la culture pornographique, de la solitude, de l’aliénation de la jeunesse, du (sous-) prolétariat, de leur mimétisme moutonnier, de la fausse conscience du fêtard, des paillettes et de l’enfermement narcissique… sur les réseaux ou dans le monde du travail en implosion (ou des deux qui deviennent la même chose, notamment pour tant de jeunes qui ne savent même pas qu’en s’intoxicant l’esprit et/ou en s’exhibant comme Miley, sur les réseaux, ils travaillent). Cette plongée dans la réalité crue du devenir global m’offre ce que j’appelle une extase nihiliste.

Incontestablement, il y a là du concept. Que d’expertises et de talents mis dans ce clip qui me provoque un dégoût amusé et non dénué d’excitation. Excitation qui vient sans doute aussi du fait de constater que la pornographie se faire plus explicite et plus franche que jamais, comme une donnée irrémédiable de notre vie, que nous en consommions ou non.

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Désormais on vous dit tout

Do it!

Drogue, clignotement hypnotique, montage psychédélique saccadé, à même la peau, incitations subliminales. Miley nous explique crûment la forme de lavage de cerveau qu’elle produit, elle et l’industrie culturelle globale, sur les fans. L’injonction Do it, montre la nature  prescriptive de la « musique pour jeunes »: derrière l’utopie de l’orgasme permanent, se dissimule (à peine) un esclavage mental et existentiel. Bien sûr ceci n’est que la branche la plus avancée et visible de la gestion de la conscience humaine par le management du désir à grande échelle.

Bref, l’industrie sait qu’elle fait de la merde toxique et addictive et le proclame sur un ton décomplexé… Quelques fois avec talent, comme dans Dooo it. Industrie de plus en plus plus en plus autoréférentielle et omniprésente, clôturant de plus en plus l’univers sur elle-même, d’où le caractère emblématique du porno. Le porno est la pathétique et pathologique réponse du système au besoin de vérité et d’authenticité de notre époque.

 

 

 

Encore un concept fort proposé par Miley dans le clip BB talk, montrant crûment le parfum de pédophilie que dégage naturellement toute l’industrie de la musique pour jeunes, c’est à dire l’industrie de la captation du désir tournée vers les cibles plus réceptives et vulnérables.

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Même dévoilement cynique avec PNL ( mon dernier post) dont voici une rime qui dit poétiquement comme ils vendent leur image de gangster parfaitement customisée par la com pour fasciner les jeunes de banlieues:

J’écoule toute ma salade, j’emmène la misère en balade

La salade veut dire

1) la drogue au premier degré,

2) mais surtout, au deuxième, la musique addictive que PNL vend aux pauvres, les emmenant ainsi en ballade. Tout jeune un peu éveillé comprend ça et apprécie l’ironie mordante et la franchise obscène du système. Il vit ainsi une extase nihiliste.

Comme PNL, Miley dit la vérité, de l’intérieur, sur le monde technologiquement et communicationnellemnt globalisé, et sur le détraquement anthropologique y relatif.

Comme PNL, elle dit aussi l’impossibilité de la transgression et la nostalgie de la transgression, la nostalgie des limites… de la transcendance, sans doute.

Para_LouisXV

Nostalgie de la transgression/Nostalgie de Dieu

Do it…. Oui mais que faire? Dieu est mort depuis longtemps et toutes les limites se sont effondrées… Le porno est-il encore subversif? Certes il reste peut-être encore quelques degrés avant d’avoir une vie intégralement porno. Donc toutes les limites ne se sont pas effondrées. Mais nous y arrivons. Miley Cyrus ouvre la voie.

Sentir en action le défrichement, par le marché/par la technostructure, de champs vierges de la nature humaines, crûment…c’est cela une extase nihiliste. C’est une catégorie de l’esthétique d’une société postmoderne avancée, hantée par la figure de la fin du monde, fin du monde qui cependant n’arrivera peut-être jamais, chose d’autant plus pénible (ou alors elle se déroule au ralenti, et c’est pénible aussi).

Et je me demande alors si  ce clip m’indigne ou s’il m’amuse, puis je me demande si je suis réactionnaire ou post-moderne, ou les deux. Enfin, je pense à cette citation de Walter Benjamin qui m’a fait pour la première fois penser à l’extase nihiliste, et qui la lie explicitement à l’angoisse de l’apocalypse:

« L’humanité, qui jadis avec Homère avait été objet de contemplation pour les dieux olympiens, l’est maintenant devenue pour elle-même. Son aliénation d’elle-même par elle-même a atteint ce degré qui lui fait vivre sa propre destruction comme une sensation esthétique de tout premier ordre. »

Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1935

Oui, j’éprouve espèce de frisson qui me conforte dans l’idée de fin du monde imminente, qui flatte mes tendances millénaristes. Le nihilisme est lié à la catastrophe apocalyptique: quand plus personne ne croit en rien, le monde est détruit.

Para_LouisXV

Sentiment du Sublime vs Extase Nihiliste

Hypothèse de philosophe de comptoir: l’extase nihiliste serait l’inverse du sentiment du Sublime de Kant.

-Le sentiment du sublime est l’exaltation de l’homme isolé, admirant le spectacle grandiose de la nature, face auquel il ressent toute son impuissance. Il est presque nié par l’excès des forces incompréhensibles de l’univers qui humilient sa raison, mais  paradoxalement cela l’exalte d’autant plus, parce qu’il est capable de sentir la grandeur de sa responsabilité d’entité raisonnable face à l’incommensurable, et sans doute à Dieu.

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Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1817) de Caspar David Friedrich… Le concept de sublime de Kant a rejailli sur tout l’art romantique

-A l’autre bout du processus des Lumières, l’extase nihiliste serait celle de l’individu face à une technostructure massive et hypercentralisée d’exploitation d’un désir qu’elle détraque et rend malade, monstre qui a pris la place qu’avait la nature dans le sublime de Kant, et qui menace de détruire cette nature, en tout cas qui l’amoindrit. Donc l’individu est face à cette giga-technostructure qui se donne en spectacle pornographique , il comprend qu’elle est en phase d’avaler le monde, et il se sent

doucement impuissant

mais surtout pas responsable

et il ressent un plaisir un peu navrant de cette impuissance et de cette irresponsabilité.

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Do it, slogan de Nike, de la société de consommation/spectacle et de Miley, avec ici une éjaculation au champagne. Encore une fois, Miley crée des images fortes, qui parlent de la société actuelle et la transforment.

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Et ce qui rend l’extase nihiliste encore plus savoureuse, encore plus apocalyptique, c’est de se dire que cette technostructure d’exploitation à mort du désir, c’est simplement le déploiement dans le temps de la rationalité des Lumière qui s’est retournée contre elle-même. Elle a simplement abandonné en route l’idée d’aufklährung et la morale de Kant qui se sont avérées irréalistes en matière de gestion des masses. Pour ce faire, elle compte maintenant sur les pulsions et les réflexes conditionnés plutôt que sur la raison.

Sur 3 siècles, on a un arc qui va de l’espoir de l’émancipation par la raison à l’impossibilité de cette émancipation et la négation de la raison. Arc de déception du destin des Lumières qui fut répété sur une petite échelle (50 ans) avec les idéologies de l’émancipation par le désir dans les années 60, devenues contre-morale aliénantes et prescriptives au XXIème siècle (soit l’aliénation réelle derrière l’illusion de l’orgasme permanent). N’est-ce pas le propos de Miley quand elle nous explique (dans Doo it) que même si elle fume des joints et qu’elle aime la paix, elle n’en a rien à foutre (elle est nihiliste), et ce n’est pas une hippie?

« Yeah I smoke pot, (do it) yeah I love peace (do it)
But I don’t give a fuck (do it), I ain’t no hippy »

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