(oiseaux de malheur, troisième épisode)
Il y a 9 mois, elle annonçait dans son livre choc « la fin du dollar », la mort imminente du billet vert et la survie de l’euro. A l’heure où se déroule le énième « sommet de la dernière chance pour sauver l’euro », Myret Zaki garde tout son sang froid.
Pourtant, c’est bien aujourd’hui l’Europe qui se débat dans une crise sans fin et les Etats-Unis qui peuvent emprunter presque gratuitement, en totale contradiction avec les « fondamentaux » qu’elle invoquait dans son livre à l’appui de son argumentaire.
InterStrateS a rencontré Myret Zaki pour savoir si, malgré les chiffres et l’économie réelle, la crise européenne ne risquait pas de dégénérer de façon vraiment incontrôlable. « L’écran de fumée » des attaques contre l’euro, dressé selon la journaiste par la finance américaine pour protéger le dollar, ne pourrait-il pas à terme avoir raison de la monnaie commune? Telle est la question que nous voulons explorer avec elle dans l’interview qui suit, après un bref résumé de son livre pour mieux la situer:
La dette américaine est bien supérieure à celles du vieux continent. Mais la dette officielle US est sous-évaluée par divers artifices, notamment un flux continu de création monétaire par la banque centrale. De plus, la dette globale états-unienne, tous acteurs économiques confondus, et en comptant les déficits fiscaux, culmine à plus de 200 000 milliards de dollars, soit plus de 15 fois le PIB de 14 000 milliards de dollar !!! Les grands pays de l’Europe, eux semblent en bien meilleure forme, avec des taux d’épargne élevés, des industries encore dynamiques et surtout une monnaie stable (contrairement à un dollar que la Réserve fédérale imprime sans aucune retenue).
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Bonjour Myret Zaki. Pensez-vous encore que l’euro survivra contrairement au dollar? Au vu de l’actualité, on a parfois du mal à vous suivre.
Je pense toujours la même chose qu’il y a 9 mois. Au niveau du déficit budgétaire, du déficit courant, et du ratio de dette/PIB, les chiffres des Etats-Unis sont pires que ceux de la zone euro dans son ensemble. Sans compter que ceux des Etats-Unis sont en général trafiqués. Le taux d’épargne des ménages américains est de 4%, alors qu’un pays comme l’Italie a le taux d’épargne le plus élevé de la zone euro, à plus de 12%. Et pourtant, il y a quelques semaines, l’Italie payait 7% sur sa dette à dix ans, contre 2% pour les Etats-Unis! Où est la logique là-dedans?
Bon, alors tout ceci n’est qu’une vaste manipulation des bourses par quelques fonds spéculatifs?
Exactement. Les hedge funds et leurs gérants sont devenus une aristocratie toute puissante de la finance et ont acquis un pouvoir inouï. Grâce aux CDS (assurances contre le risque de faillite d’un état sur sa dette) et à la vente à découvert (shortselling) ils peuvent manipuler les marchés à leur gré. Ils ont gagné des sommes folles en 2010 en pariant contre les pays européens. Ces fonds sont organiquement liés au système bancaire anglo-saxon, au gouvernement américain et à la Réserve fédérale (banque centrale des Etats-Unis). Et ils ont la capacité de dicter aux médias leur agenda! Nous en voyons tous les jours les résultats dans la presse de partout qui s’acharne sur l’euro. En revanche, on parle peu des municipalités états-uniennes qui font faillite, ni des états comme la Virginie et l’Utah qui affichent leurs craintes à l’égard du dollar en réintroduisant l’or comme monnaie alternative!
Donc vous ne croyez pas les discours de Tim Geithner ou Barack Obama qui prétendent que les Etats-Unis ont beaucoup à perdre dans une crise de l’euro?
Absolument pas. On n’a qu’à regarder les courbes des taux d’intérêt des obligations américaines et celles des pays attaqués en Europe: elles ont des trajectoires absolument inverses: quand la première monte, les autres baissent. Ce discours bienveillant des Américains serait crédible si nous étions dans une économie saine. La réalité est que les USA sont au bord du précipice et que la pression financière sur l’Europe fait diversion et retarde leur propre chute. Et ce d’autant plus que des indices montrent que la Fed manipule à travers des sociétés écrans bien au delà de la dette américaine. On voit par exemple en fin de séance, après de très lourdes pertes sur les marchés actions US, de brutales remontées que personne ne s’explique et qui sont pour le moins suspectes.
D’accord, alors pourquoi, avec leurs méthodes vicieuses, les fonds spéculatifs ne parviendraient-ils pas finalement à couler l’Euro? Peut-être qu’aujourd’hui, ce sont moins les « fondamentaux » qui comptent que les tendances fantasmatiques qui règnent sur les marchés?
Certes, les rumeurs et les manipulations sont partout, mais je crois malgré tout que la dette américaine est insoutenable et que celle de l’Europe peut être gérée. De plus, j’ai confiance dans la volonté des dirigeants européens de protéger l’euro à tout prix. Et il y a un autre élément de taille: les banques centrales des pays émergents -plus de 7000 milliards de dollars de réserves de change et d’or- soutiennent l’euro par des achats d’obligations. Ces facteurs conjugués devraient à long terme décourager la spéculation.
Malgré tout, vous avez peut-être un peu présumé en prétendant que le dollar devait se crasher d’ici à 2014? N’avez vous pas mis en jeu votre crédibilité dans cette démarche d’une façon un peu hasardeuse?
Le pari était qu’après une prochaine élection américaine, les choses ne seraient vraiment plus tenables, et j’y crois toujours : dès que les taux d’intérêt de la dette US remonteront, ce sera la strangulation financière immédiate. Mais je dois avouer que la crise européenne a été jusqu’à présent un paravent efficace: comme la dette US continue d’être un refuge, les Américains se financent quasi gratuitement. Combien de temps cela peut durer? C’est très dur de le dire précisément, mais en tout cas ce n’est pas soutenable à long et même moyen terme.
Mais regardez les pays européens: ils sont secoués par des mouvements sociaux d’ampleur inédite et qui pourraient s’envenimer… et accélérer la crise côté européen.
Moi, je trouve que les peuples acceptent grosso modo assez bien les politiques d’austérité qui leur sont appliquées et qui sont nécessaires. Car durant ces trente ans tout le monde s’est repu de crédits faciles sous prétexte de politiques keynésiennes visant la croissance. Du coup, aujourd’hui, nous devons faire une purge.

"Eurodoll" est le petit nom que les traders donnent à cette courbe qui montre l'évolution de la valeur de l'euro en dollar dans le temps. Jeu de mot en vogue dans les salles de marché US saturées de testostérone: eurodoll évoque une "poupée européenne", soit une fille légère dont on abuserait facilement... (ndr)
Nous en arrivons au sommet qui débutait hier. Vous pourriez nous dire ce qui était en jeu?
Ce qui se met en place ce sont les bases d’un renforcement de la structure de l’Euroland. La zone se dirigera inexorablement vers une structure fédérale. Une fois la règle d’or précisée en matière budgétaire pour les 17 pays, l’Allemagne donnera vraisemblablement son feu vert à l’émission de bons du Trésor européens (eurobonds, càd des titres de dettes européens, ndr) dans le courant de 2012, ce qui créera un marché des capitaux liquide et solvable pour la dette « fédérale » de la zone.
Mais pourquoi pensez-vous que les Allemands accepteront de se mouiller ainsi?
Parce qu’il est dans l’intérêt évident de l’Allemagne de maintenir à flots ses marchés d’exportation que sont les 16 autres membres, et de ne pas permettre un démantèlement. La structure fédérale qui devrait voir le jour impliquera un contrôle centralisé des budgets, une fiscalité commune, éléments qui déboucheront à terme sur un ministère des finances supranational.
Tout ça va se faire grâce à ce sommet ?
Non, bien sûr. Disons qu’il a posé adéquatement les bases pour ces évolutions futures. Merkel a bien sûr, à terme, en tête l’idée d’un marché d’Eurobonds, mais elle attend la finalisation du traité. L’Europe avance à un pas très raisonnable. La crise date seulement du printemps 2010, et on fait comme si cela faisait 10 ans qu’elle durait.
Alors l’euro est donc sauvé?
Les attaques peuvent certainement reprendre. Seule une crise plus grave aux outre-atlantique peut arrêter cette mascarade. Mais les américains font tout pour dissimuler leur débâcle. Après les élections présidentielles en novembre 2012, ce sera toutefois une autre histoire…
Vous êtes optimiste, mais quand ils se demandent « qui va payer ? », les Européens commencent à ne plus être d’accord… et ce, à tous les niveaux: tensions entre états au sein de l’Europe, tension sociales dans les pays.
Comme je vous le dis, la volonté politique est bien là en Allemagen comme en France pour agir fermement.
Et si un « dérapage populiste » faisait voler l’euro en éclat? Une crise politique en Allemagne, une réaction irraisonnée dans un des pays du nord de l’Europe qui en ont « marre de payer pour les autres », pourraient facilement balayer l’édifice.
C’est vrai que l’on ne peut exclure ce genre de catastrophe, et ce d’autant que l’environnement économique à court terme est très aléatoire. Mais je n’y crois pas trop. Face à leurs dettes, les Américains, contrairement aux Européens, sont paralysés dans leurs prises de décisions, incapables de mener la politique d’austérité nécessaire. Et d’une certaine façon, c’est simplement trop tard : il ne leur reste plus que la planche à billets, avec laquelle ils sont en train de faire défaut par dévaluation. En d’autres termes, leurs créanciers détiennent une dette qui se dévalue à toute vitesse.
Dans votre livre, vous affirmiez que cette hyper expansion du dollar était la plus grosse bulle financière de l’histoire. Son éclatement ne sera-t-il pas aussi la fin capitalisme?
Non, c’est la crise qui devrait finalement assainir le capitalisme. La politique de la planche à billets que continue d’appliquer la Fed depuis 30 ans, et spécialement depuis Allan Greenspan, est une parodie de capitalisme. Elle sert un système oligarchique destiné à capter indûment les richesses créées. Bien sûr, les européens y ont eu leur part: la politique hyper expansionnistes de la Fed a fait proliférer partout plein de dettes malsaines.
Vous traîte-t-on souvent de « complotiste »?
Pas si souvent… Le seul cas auquel je pense est celui de confrères ayant qualifié mon livre de pamphlétaire et de complotiste. Je pense qu’il y avait beaucoup de jalousie là-dedans. Du côté de la finance, par contre, je suis très souvent invitée pour en parler, que ce soit dans des grandes banques suisses, dans des banques privées ou devant des assemblées d’investisseurs. La plupart des acteurs financiers sont d’accord avec moi. Les autres se bercent d’illusions, ou alors ils veulent bercer leurs clients d’illusions…
A présent, je vous soumets la question bonus InterStrateS: nos laboratoires ont imaginé, en partenariat avec plusieurs think tanks avec qui nous collaborons depuis longtemps, une hypothèse fictionnelle destinée à tous les amateurs de prospection paranoïaque que nous désirons mettre en orbite dans l’immensité du web:
Et si d’aventure, les hedgefunds parvenait à faire couler l’euro ? Tout le monde se précipiterait certainement pour acheter des dollar, toute l’économie anglosaxonne se financerait à moindre coût et nos raiders pourrait racheter une Europe continentale en soldes: entreprises, brevets, immobilier, etc… Après, ils la vendent à la Chine et les USA s’en sortent en ayant soldé leur dette…
Là je crois que vous êtes encore plus machiavélique qu’un gérant de Hedge fund. C’est un scénario intéressant, mais je crois que dans cette hypothèse, les Chinois achèteront en premier, car personne n’a de puissance financière qui puisse égaler leurs 3200 milliards de dollars de réserves…
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Pour une fois, on voit l’esquisse d’une solution pour l’Europe… Le projet d’intégration proposé par l’Allemagne et la France est peut-être brutal mais il a le mérite de s’attaquer au fond du problème: l’endettement excessif. On verra maintenant qui du monde anglo-saxon, qui a choisi la planche à billet ou de l’Europe continentale, qui prend la voie de la discipline budgétaire, retrouvera le plus rapidement une économie saine. Pour ma part, je vois derrière l’utilisation massive de la planche à billet par les Etats-Unis et la Royaume-Uni une malsaine emprise du lobby financier prêt à tout pour protéger ses revenus gargantuesques d’une crasse indécence. Il va falloir réguler le secteur financier et le remettre à sa place de serviteur de l’économie. En parallèle, j’espère que les peuples européens sauront passer ces prochaines années difficiles sans élire des dirigeants au discours haineux mais en se serrant les coudes. On a vécu et on vit au-dessus de nos moyens depuis longtemps. Réduire notre train de vie ne veut pas forcément dire que l’on va vivre moins bien. Ce sera l’occasion de repenser la société, avec de vrais projets d’avenir. Une intégration plus poussée ne se faisant pas sans concessions, j’espère que chaque pays aura l’intelligence de ne pas penser seulement à lui mais au bien commun. Rappelons-nous que l’Union-Européenne a avant tout été créée pour ne plus jamais revivre l’enfer de la guerre sur le continent. Merci à tous ceux qui ont participé et participent à sa construction!