Zero Hedge, c’est une des plus belles aventures de la blogosphère portée par la crise globale. Depuis 2009, les auteurs anonymes signent les posts d’un seul pseudonyme: Tyler Durden, nom du héros schizophrène et rebelle du film Fight Club campé par Brad Pitt. Prévisions chaotiques, dénonciations de schémas financiers frauduleux, et mépris de la presse financière mainstream sont les mamelles de ZH. C’est le plus flamboyant d’une série de blogs de professionnels mécontents de la gestion de la crise par les gouvernements et les grandes banques (à retrouver dans les blogs amis de ZH). Ses posts sont sarcastiques à souhait, souvent impossibles à déchiffrer pour un « civil » comme moi. Mais leur version abrégée sur la page d’accueil est parfois lapidaire et savoureuse comme un bon aphorisme.
Est-ce sérieux, Docteur?
Bien sûr, les médias traditionnels ont bien des reproches à lui adresser. Conspirationnisme: pour Zero Hedge, les grandes banques, les too big to fail, Goldman Sachs en tête, corrompent et commandent le gouvernement américain, la Réserve Fédérale et le Trésor pour commettre les fraudes qui leur assurent la domination des marchés… mais est-ce que c’est assez pour être conspirationniste? A l’inverse, on l’accuse d’être le relais de rumeur dénoncées par d’autres « conspirationnistes »!!! Goût de l’exagération: quand toute la presse économique se demande si l’Euro sera sauvé la semaine prochaine, Zero Hedge lâche ses conseils lapidaires pour en finir avec un feuilleton à ses yeux interminable: « IL N’Y A PLUS D’ARGENT! VOUS LE SAVEZ, NOUS LE SAVONS, LES GENS LE SAVENT. ASSEZ!!! LAISSEZ LA GRECE FAIRE DEFAUT ET LAISSEZ TOMBER LES DEBRIS OÙ ILS TOMBERONT! »
Mais ZH présente aussi une face très crédible avec plein d’analyses techniques qui en font aujourd’hui l’un des sites les plus suivis par les acteurs économiques. Avec en prime des scoops qui ont permis la mise à jour de plusieurs affaires comme cette fraude de Goldman Sachs liées à la technique controversée du Flash trading. Les grands médias expriment leur méfiance mais reconnaissent l’influence de ces nouveaux acteurs : la chaîne CNBC tacle les « bloggers financiers », « prophètes de malheur et mauvais américains » que sont entre autres Zero Hedge et quelques autres. ZH soutient en gros que nous arrivons à la fin d’un cycle de croissance de 30 ans ou plus soutenus par le crédit, que l’économie occidentale est ruinée et que personne (médias mainstream et politiciens) ne peut l’admettre, tant la situation est socialement explosive. Mais ce serait donner beaucoup de pouvoir à la blogosphère que de lui imputer la volatilité actuelle des marchés.
Une fissure dans la finance
Le phénomène est sans doute davantage la conséquence que la cause des soubresauts de la crise dans le monde bancaire. ZH, comme d’autres plateformes, est édité par des gens de l’intérieur de l’industrie financière. Autrement dit, une fraction croissante de Wall Street refuse la vision du monde (et du marché) des géants américains. Et cette fraction demandent des changements et réclame des comptes sur ce qui s’est passé… A l’unisson des protestataires de Occupywallstreet dont nous parlions la semaine passée! Zero Hedge, comme beaucoup de blogs de cette galaxie, affiche son soutien au mouvement contestataire. Ce pourrait-il être un signe de rapprochement entre la gauche américaine et une partie de la droite qui pense, comme Ron Paul, que l’oligarchie financière a perverti le capitalisme?
Zorros cyniques du marché
Depuis 2008, le trader rebelle ou déchu, voire le hedge funder anti-banque sont devenus des invités fétiches du paysage médiatique. On apprécie aussi la sincérité morbide du trader Allessio Rastani, confessant aux journalistes médusés de la BBC qu’il rêve d’une bonne récession pour gagner beaucoup d’argent et que, d’ailleurs, elle est en train d’arriver… Bien sûr, l’indépendance de ces Cassandre du marché est légitimement questionnée. SI ça se trouve, Rastani est un de ceux qui se cachent derrière Tyler Durden! En tout cas, ZH ne fait pas mystère sur sa feuille de route de possibles conflits d’intérêt: « …il n’est pas exclu que l’auteur compte bénéficier sur les marchés du fait d’avoir raison… », mais entend les assumer, pour mieux railler le point de vue prétendument neutre des grands média.
Bref, le civil que je suis comprend que peu de gens comprennent ce qui se passe, mais que tout le monde se tient par la barbichette. Et s’il est vrai que le pire n’est jamais certain, on en parle tout de même beaucoup.