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J’avais trop posté, trop vite et trop répétitivement sur différents groupes facebook plus ou moins concernés par mes obsessions théoriques et pratiques. Pulsion marketing. Ca devait mal se terminer…

J’avais trop posté, sur trop de forums et soudain, Facebook m’a stoppé. Stoppé dans mon élan de communication virale tous azimuts. J’ai d’abord reçu un message standard qui me dit que j’avais l’air suspect. Je crois qu’ils ont même insinué que j’étais peut-être un robot. Un joli comble.

Mon sang ne fait qu’un tour, vous pensez… un robot qui me traite de robot…

…Et puis un message qui suit le précédent, me signifiant que par sécurité mon compte va être bloqué pendant 72 heures, le temps de vérifier qui je suis, et puis ils me demandent de leur envoyer une photo, et puis leur application prend aimablement le contrôle de ma caméra pour faire un cliché pour mieux m’identifier. J’obtempère. Clic.

…Big brother m’a soumis.

Certes, je comprend bien que dans la prison algorithmique dans laquelle nous sommes plongés ici bas, j’ai l’air suspect: je n’ai jamais donné mon numéro de téléphone à Facebook, je ne leur ai pas donné mes contacts, ni n’ai autorisé aucune application (ou presque) à leur fournir des informations.

Mais je ne suis en tout cas pas un robot. Après le coup de rage, j’ai fait quelques recherches pour comprendre ce qui m’arrivait. J’étais dans ce qu’on appelle la « Facebook jail ». Ca arrive très souvent à des aventuriers du buzz novices comme moi.

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JailHouse Rock, Elvis Prestley, 1957, une des premières intrusions du glamour et de la société du spectacle dans le domaine carcéral

Facebook, Google et l’écosystème…

J’aurais dû utiliser un robot, comme le font la plupart des marketteurs, autrement dit un programme qui publie les posts de façon suffisamment décalée pour ne pas être pris par les algorithmes qui m’ont attrapé. Ces services sont offerts par des partenaires de Facebook qui développent les softwares adéquats. Autour de Facebook et de Google se développe en effet tout un écosystème de partenaires qui travaillent de concert à tisser un espace algorithmique complexe total qui travaille à contrôler le monde et à le construire à son image. Aujourd’hui déjà tellement, mais bien moins que demain. Cet écosystème est d’abord le monde de la com et de la publicité (presse incluse), entièrement ubérisés par Facebook et Google, autrement dit le coeur du réacteur du capitalisme cybernétique qui impulse sa fulgurante expansion disruptive., selon les règles d’une néonature siliconée, schumpeterienne et cyberdarwinienne.

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J’aurais dû utiliser un robot pour ne pas être pris pour un robot par un robot!

Empli d’une colère légitime face à l’absurdité de ce constat, je me préparais psychologiquement à un combat titanesque et apocalyptique contre le Behemeoth qui me persécutait… Un procès! Faire appel à un avocat, un grand procès contre Facebook et la Silicon valley… David contre Goliath… Ca allait faire mal… (+ Un buzz d’enfer histoire de booster mon blog.)

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Pikachu en prison

Je pris donc ma plume pour expliquer à Facebook que non seulement je n’étais pas un robot, mais que j’étais sans doute le blogueur le plus humain qui n’ait jamais existé. Mon blocage était bien la preuve d’une hypocrisie automatisée qui représente tout le contraire de ce qu’ils prétendent être (Facebook), auquel d’ailleurs seuls les abrutis décérébrés par la vie en open-space croient encore. Ces déconnexions algorithmique étaient les prémisses d’une dictature orwellienne dont tout honnête homme sait aujourd’hui que c’est leur but, sans parler des hypersensibles (comme moi) qui pensent qu’elle est déjà en place (cela donnait une petite teinte pathétique à ma démarche).

Mon blocage était d’autant plus lamentable que sur Facebook on est bombardé de contenus ridicules poussés par des grands groupes et boîtes de com. Certes, ces derniers paient pour cela, comptant sur une masse de likeurs qui  viralement vont les propulser. Et ils paient certainement les services dont je parlais plus haut pour entretenir leurs « communautés de fans », mais ils paient plus directement Facebook pour afficher leur pub dans le fil d’actu des utilisateurs sans autre forme de connexion groupale ou amicale.

Je n’ai pas eu le temps de lancer mon procès, ni même de recevoir une réponse de quelque humain de chez Facebook. Cela ne fonctionne pas comme ça. Pour être débloqué, il a suffi que j’attende trois semaines. Mais je soupçonne que j’ai été simplement sorti de la « Facebook jail » parce que je me suis soudain inscrit d’affilée à WhatsApp (qui appartient à Facebook) et à Tinder (privé de Facebook, j’avais une fringale de communication virtuelle, et il se trouve que je n’avais pas de smartphone utilisable durant ces 4 dernières années) Moralité: ils doivent sortir les prisonniers de prison quand ils s’inscrivent à Whatsap, ou quand ils s’inscrivent à Tinder à travers Facebook (ce que j’ai fait par flemme et renoncement face à l’hydre cybernétique et ses mille têtes). Je ne peux rien en savoir de plus. Facebook ne me répondra sans doute jamais.

Big Brother m’a soumis.

Cette petite anecdote me rappelle, toute proportion gardée, cet épisode de Black Mirror où l’héroïne à force de vouloir être bien vue sur les réseaux sociaux, se retrouve comme moi, bloquée par eux, et finit effectivement en prison.

A l’occasion j’avais souligné dans ce post les rapports entre les réseaux sociaux et la télé-réalité comme des supports de disruption narcissique dans le processus cyber-capitaliste, ce qui est à relier à cet autre post, où je parle de la disruption de tout (transport, marketing, immobilier, banque, assurance, et le reste) par la Silicon Valley. Avec les réseaux sociaux, il s’agit bien sûr du coeur du moteur du cybercapitalisme et de l’atomisation/individualisation que nous subissons sur nos smartphones par des processus éminemment hypnotiques. C’est la création en nous d’une dépendance narcissique directement reliée aux processus définis par le centre du réseau.

Photos anthropométriques de célébrités

Je suis aussi un sac de données!

Il est évident qu’aujourd’hui l’individu n’est pas seulement un ensemble de désirs canalisable et exploitables à merci (ce dont on ne cesse de parler sur interstrate(s)), mais corrélativement un sac de données recoupables et éminemment identifiables. Ainsi va la gestion cybernétique de la société thermostatique. Chacun émet sa série de signaux qui le rend unique pour nos chers géants du net. Il y a 10 ans, on expliquait que les données étaient étudiées anonymement, en masse. Aujourd’hui, on sait que c’est complètement personnalisé, et que les data-miners savent qui vous êtes, pour peu qu’ils recoupent 2 ou trois jeux de données.

Qui plus est il y a aussi pistage par les sites que vous visitez au niveau de votre matériel. Les spécifications de votre poste de travail, comme la taille de l’écran, le clavier ou les protections que vous utilisez vous rendre repérable… Sur ce test de l’Electronic Frontier Foundation, que vous pouvez faire, il apparait que je suis unique parmi 300 000 ordinateurs testés, autrement dit, très facilement identifiable par les sites que je visite.

Je suppose que c’est à cause de toutes les possibilités de corrélations identifiantes qui existent aujourd’hui que Paypal, par exemple, transfère de l’argent de façon si rapide ( il y a quelques années, me semble-t-il, il y avait plein de vérifications).

Récemment la CNIL est arrivée à confisquer 150 000 mille francs à Facebook, et l’autorité italienne de régulation de la concurrence 3 millions d’Euros. Les sommes sont bien sûr risibles comparées aux revenus liés à la vente de données et au recoupage des bases de données. Le Figaro concède que l’amende de la CNIL est négligeable puisqu’elle représente « 0,005% du dernier bénéfice trimestriel de Facebook, soit à peu près l’équivalent de ce qu’il gagne en 7 minutes de temps »!!!

Mais l’article prétend plus loin que l’Europe pourrait bien être capable dès l’année prochaine d’infliger une amende « qui s’élèverait à 4% du chiffre d’affaire mondial », ce qui me semble complètement surréaliste, vu le rapport de force et l’opacité du trafic de données qui s’effectue. Mais c’est peut-être l’aveuglement nécessaire qui permet d’éviter de prendre conscience (comme moi, hypersensible) que nous ne sommes déjà plus en démocratie. La continuation de la vie commande quelques illusions nécessaires.

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“They’re Coming To Take Me Away”
(2011), Huile sur bois, Jeff Ramirez

Aujourd’hui, Facebook et Google font la course en tête pour la possession de nos données, suivis par les autres réseaux sociaux qui tentent de s’accaparer quelques miettes de ces données. Cela passe notamment avec les inscriptions à telle ou telle appli à travers Facebook, comme pour Tinder. Cette pratique se généralise et l’on peut supposer que nous serons de plus en plus canalisés dans ce genre de dispositifs toujours plus identifiants (comme le sont les achats d’appli à travers Apple ou Android, l’inscription à travers Facebook ou autres réseaux). Cela se  fait parce que les 95% des gens donnent leurs données sans y voir à mal et peut-être plus encore, parce qu’ils refusent de prendre la peine de remplir un formulaire (c’est pour ça que j’ai ouvert Tinder avec Facebook, sans y réfléchir… vivre et laisser vivre, ne soyons pas mesquin, pas de prise de tête…).

Investir dans Big brother

A ce propos, il est intéressant de se demander en quoi consiste la valeur de toutes ces entreprises florissantes dont le « métier » est la gestion des données. On voit ici l’indice composite de 100 plus grosses entreprises du Nasdaq, soit les géants du net, et les licornes aux croissances fulgurantes. Il est largement plus haut qu’avant la crise des dot.com en 2000 (c’est aussi dû à l’expansion monétaire, mais c’est un autre sujet).

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Waren Buffet, grand gourou de la finance, affirmait avant le crash de 2000 qu’il n’investissait que dans des choses concrètes (immobilier, industries classiques), et fuyait les « dot.com » dont il ne parvenait pas à savoir ce qu’elles produisaient, ni la valeur qu’elles représentaient. Maintenant, il s’avère plus clair que le produit des GAFA et des licornes est la soumission de toutes les structures économiques du monde et leur centralisation. Dans le même mouvement, au niveau individuel, ils produisent la transparence absolue de tous les individus face à l’opacité absolue de la machine.

Cette « bigbrotherisation » est comme inscrite dans la forme d’internet, de même que le parachèvement des états nations et la première mondialisation étaient inscrits dans la forme des technologies du 19ème siècle (chemin de fer, électricité, télégramme), et inclus dans les rendements attendus des investisseurs.

L’insolente valeur des entreprises du net (qui souvent perdent de l’argent et n’ont pas de business model profitable) traduit bien leur fonction de moteur de la mondialisation par la disruption. Elle reflète peut-être même les gains économiques que permettraient la fin de la démocratie, la fin des souverainetés nationales, la fin de la conscience individuelle, la tribalisation du monde et l’émergence d’un système global de gestion cybernétique. Facebook et Google sont les deux titans à la tête du mouvement, qui entraînent avec eux la com, les autres réseaux et tout ce que j’appelle le monde de la gestion de la conscience. Selon Alain Supiot, un juriste que j’aime citer dans les salons, nous assistons à la naissance d’un système totalitaire hybride qui alliera la corruption du capitalisme financier US et celle de la dictature communiste chinoise.

C’est ainsi que s’installe un système de normes automatisé, de contraintes discrètes et de dissuasions largement hors d’atteinte de toute protestation ou attaque juridique. C’est bien le panoptique de Foucault, intégré comme jamais dans notre structure mentale, nous rappelant sans cesse que nous sommes repérables et repérés par les machines. Un système qui s’exerce de façon hypnotique, au-delà de toute prise de conscience possible, pour l’immense majorité.

La ruse c’est qu’il devient le monde, invisible parce qu’omniprésent, comme l’air qu’on respire. Ce système nous pénètre par tous nos désirs, nos espoirs et nos peurs. Le système m’a subrepticement contraint et je n’ai rien pu faire. Comme avec Uber, comme avec Macron, comme avec tout le reste.

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PS: Je me permets de souligner l’intéressant paradoxe d’avoir été mis en prison hors de Facebook, alors que Facebook est en soi une prison, comme le sait tout honnête homme. On m’a mis en prison en me privant de ma prison! On m’a enfermé à l’air libre…

Bon… Je vous ai expliqué le concept que j’essaie de vendre à l’Occident décadent (comme dirait M. Onfray): la gestion de l’auto-intoxication (je ne sais pas encore s’il faut le classer dans la philo ou le développement personnel… j’en discute avec mon dircom).

Lorsqu’on descend dans Facebook, il faut avoir une conscience capable de s’arracher aux processus d’addiction qui sont savamment calculés par les spécialistes de la gestion de la conscience. Ce n’est pas donné à tout le monde. Je ne sais même pas si cela m’est ou me sera donné. L’avenir n’est pas écrit. A vaincre sans péril…

Dans les réseaux sociaux comme dans les applications et les jeux,  tout est calculés par des psychologues pour vous enfermer dans des boucles de comportement automatisés et hypnotiques (Skinner box) à la recherche de petites gratifications de moins en moins importantes, à mesure que vous sombrez dans le processus de zombification préétabli pour vous. C’est ainsi que se fait le combat spirituel aujourd’hui: par l’analyse vigilante et lucide du compromis irrémédiable que nous faisons avec un monde corrupteur et corrompu, créé par les démiurges techniciens de la gestion de la conscience.

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