Certes l’art contemporain est nul. Ca ne m’empêche pas de m’en repaître, comme il y a quelques jours à la Biennale de Venise 2017, qui clôt ses portes aujourd’hui… Je suis un pervers. Mais je suis un pervers conscient, à l’inverse de la majorité du public qui grouille dans les biennales et autres foires d’art contemporain.

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Je commence donc ici un petit panorama rétrospectif de la Biennale de Venise qui se termine demain, où l’on trouve tout un fatras de tendances qui nous renseignent autant sur l’art contemporain que sur notre époque: transhumanisme, culture conspirationniste, militantisme LGBT, New Age. A la source de tout ça, on trouve la contreculture des années 60, dont l’influence sur notre société est souvent sous-évaluée. C’est cet aspect généalogique que j’explorerai dans ce premier post.

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Le fantôme de la contre-culture:

C’est l’anniversaire de la contreculture (mai 68 en France, summer of love en 1967 aux Etats unis). Et l’on en perçoit partout les traces et les vestiges… Nostalgie de la dernière utopie qui a bouleversé l’occident.

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Après avoir enlevé ses chaussures, on peut s’affaler sous cette grande tente dressée par Ernesto Neto et même jouer sur un tambour indien, comme à Woodstock autrefois, avant d’aller admirer ces fleurs vénéneuses de l’artiste Rita Banerjee.

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« L’art doit changer le monde », une évidence absolue

Tout le monde est artiste (dixit Joseph Beuys, l’un des pilliers de l’art contemporain et de la contreculture). Faire une expérience est artistique. L’organiser l’est encore plus. Avec la contreculture vient le culte de l’expérience et de la nouveauté.  L’art doit changer le monde, c’est un des mantras ridicules de la doxa ambiante… On en arrive à un académisme du changement… Bien sûr cela converge discrètement avec l’idéologie ultralibérale de Schumpeter et Milton Friedman, selon ce que Luc Boltanski classait dans le Nouvel esprit du capitalisme (les valeurs issues de mai 68 compatibles avec le néo-capitalisme ultraindividualiste des années 80).

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Très belle salle et belle ambiance dans le pavillon italien. L’artiste italienne Adelita Hosni Bey a simplement filmé un workshop en compagnie de jeunes artistes new-yorkais qui discutent de nouvelles façons d’organiser l’action collective. C’est caricaturalement symptomatique de l’impasse de l’art officiel et l’académisme actuel: révolte officielle et promotion du changement (pourtant absent… tout le monde fait ce genre de trucs) et vide autoréférentiel… au mieux on a une sensation de vertige nihiliste…  L’artiste, à qui l’on offre un espace gigantesque se veut subversive et entend « questionner notre rapport avec le pouvoir », dans un évènement sponsorisée par les milliardaires, les banques et les grandes marques de luxe. Un beau sentiment de décadence et de corruption.

De la performance à « l’art social »

On en arrive vraiment à la dégénérescence de l’idée de performance. L’art semble s’identifier au « secteur social »… L’art doit être militant et faire avancer l’émancipation, aider les minorités… Community building, nation building, whatever building… l’art doit changer le monde… Tout est art et tout est politique (le marketing en premier lieu)… Tout est dans tout, c’est la convergence généralisée, dans la promotion du changement.

Sous cette optique, détruire la Lybie ou plus largement, le moyen orient a constitué une performance de tout premier ordre.  Je grossis le trait pour souligner la tenace solidarité entre contreculture et le capitalisme hédoniste où nous sommes, le marketing, etc… sujet maintes fois abordé ici, longtemps occulté, aujourd’hui assez documenté… (Le musicien Karlheinz Stockhausen a célébré autrefois le 11 septembre 2001 comme la plus belle performance artistique de l’histoire.)

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New Age et évènementiel sectaire:

Le déferlement continu du New âge est une de ces choses que l’on doit à la contreculture.

Ci-dessus, l’artiste/gourou Anna Halprin réunit depuis 1981 une communauté pour une danse planétaire qui est un grand rendez-vous hippie/néo-hippie pour la sauvegarde spirituelle de l’humanité près de San Francisco, sur le Monte Tamalpais. Même si ça ressemble à un croisement de Woodstock et du temple solaire, ce « laboratoire communautaire » est bien une oeuvre d’art aux yeux des curateurs de la biennale qui lui ont donné un large espace et une grande visibilité à l’entrée de l’Arsenale. Signe de l’hyperéclectisme postmoderne vide dont souffre l’art contemporain.

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Des schémas aux formes symboliques mystérieuses qui représentent les déplacements des participants.

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Oui, là on est bien dans le temple solaire ou dans Eyes Wide Shut

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Transe et esthétique du contrôle mental:

Toute une section est consacrée dans l’Arsenale aux « artistes chamanes », qui nous permettent de contacter les forces qui nous dépassent, souvent grâce à la transe. Mais les mouvements religieux sont bien sûr aussi des hauts lieux du contrôle social. De ce côté sombre, les notices ne nous parlent pas et font plutôt dans la mièvrerie bienveillante (célébration de l’éveil, l’ouverture, la nouveauté, etc.), mais il est partout sous-entendu. Comme dans ces photos d’expériences réelles sur des cobayes humains dans les universités américaines durant les années 50.

Jeremy Shaw les a placées sous des prismes de verre qui les diffractent en plusieurs fragment, rappelant la fragmentation mentale qu’on a longtemps rangée dans la schizophrénie, et que l’on nomme aujourd’hui « trouble dissociatif de l’identité ». Il naît d’expériences traumatiques comme des abus sexuels (ici Flavie Flament en parle à propos de son viol à 13 ans par le photographe David Hamilton, idole de la contre-culture).

Cette dissociation était instamment recherché par les scientifiques de la CIA qui effectuaient les expériences de contrôle mental (MK ULTRA) dont sont vraisemblablement tirées tirées les photos ci-dessus. Pour plus d’info, feuilleter « The search for the manchurian candidate », ouvrage de référence sur le sujet, écrit par un journaliste ayant travaillé pour la CIA).

Se perdre, ne plus se connaître, se dissoudre… telles étaient les utopies que proposaient Gilles Deleuze ou William Burroughs, deux des gourous de la contre-culture.

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Le changement et la mort

L’utopie du changement radical nous rapproche de l’apocalyptique des premiers chrétiens. Rêves d’anéantissement de beaucoup d’artistes qui, à force de chercher la nouveauté introuvable, nourrissent le désir secret de s’anéantir dans la folie ou la mort (ce qui est sans doute le changement et le saut dans l’inconnu le plus radical pour un être humain).

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Je sais pas trop ce que Tibor Hajas (pavillon hongrois) a fait avec son corps ou avec ses tirages pour faire ces images sympathiques. En tout cas, il s’est mis en danger, nous dit-on. Et il se réclame d’expériences de méditations tibétaines qui vous plongent dans des états proche de mort clinique. Les photos datent de… 1979. la Biennale, qui est normalement un panorama de l’art actuel fait pourtant oeuvre de rétrospective à l’occasion… Peut-être encore le signe d’un piétinement sur place… d’une décadence (le mot qu’il ne faut pas prononcer).

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PS: ce premier post sur la Biennale présente des choses nulles mais significatives. Je montrerai des choses plus percutantes (en bien ou en mal), en tout cas moins niaises que ce qu’il y a ci-dessus dans les 2 ou 3 que je compte produire en souvenir de cette douce biennale.