Dans l’ère des tribus, il est difficile de savoir où vont les flux, mais il est sûr qu’on est dans une sorte de dissolution (dédicace à tous les alchimistes). Tout se désintègre grâce à des coagulations fragmentaires (genre le street art, les tektoniks, le mouvement des « unicorns« ) qui dissolvent les anciennes coagulations, les ensembles plus anciens, plus institués comme l’art, la nation, la famille (je caricature pour me faire comprendre).

Ouroboros Street-Art et Pop, le serpent/donuts qui se mord la queue. L’ouroboros est le symbole de l’alchimie. Il représente aussi l’éternel retour (« time is a flat circle »), par delà les processus de transformations de la matières (dissolution et coagulation, selon la tradition alchimique immémoriale).
Le 8 septembre dernier, j’ai visité une exposition intéressante qui a lieu pendant 6 mois à l’Aérosol, un grand entrepôt parisien dans le XVIIIème arrondissement transformé en galerie/bar/salle de spectacle dédiée aux « cultures urbaines » (que de sous entendus derrière cette expression!). C’était un vernissage organisé par la radio publique française destinée aux jeunes, Mouv’, petite soeur de France Inter et France Culture.
L’Aérosol, vu de l’extérieur. Foodtrucks, graffs, skatteurs et fêtards lors du vernissage
Si tout se dissout sous un certain aspect, inversement, nous sommes menacés par une grande coagulation que la Silicon Valley appelle convergence, globalisation, qui fait contrepoint aux dissolutions locales qui se font jour. Elles se complètent mais pas trop vite tout de même… il faut un équilibre dialectique.
Le marketing est un tel élément de contrôle social et mental. Il importe de le maquiller, le masquer. Mais comme il est en phase d’expansion et qu’il phagocyte tout, c’est de plus en plus difficile. On peut le faire passer pour de l’art contemporain. Cela lui donne un air plus présentable…

Ouroboros plus classique, tendance new-âge, mais avec la devise de l’alchimie en latin. Dissoudre et coaguler…
L’art déjà, cela ne veut plus dire grand chose, mais alors le street art… Ces catégories qui prolifèrent, qui se métissent à l’infini (art, graffiti art, street art, etc.), montrent le développement conjoint de l’économie, de la culture (de la crise de la culture) et du marketing. Dissolution des grandes catégories et coagulation de petites chapelles diverses qui se différencient dans le temps. Le graffiti art semble aujourd’hui définir les puristes du graffiti, refusant l’institutionnalisation médiatique de l’étiquette « street art« .
Et on les comprend: le street art qui s’était d’abord affirmé en opposition avec l’art contemporain, ressemble de plus en plus à l’art contemporain. Tandis que l’art contemporain de son côté devient de plus en plus Street art. On est parti d’une différenciation pour finir par une convergence. Ironie de l’Histoire. Dissoudre et coaguler….

Ouroboros géant graffé à Perth, Australie. A l’inverse des hautes sphères ésotériques/alchimiques que j’évoquais plus haut, le serpent qui se mord la queue signifie souvent dans la langue commune un processus coincé sur lui-même et ses contradictions, processus consanguin et incestueux, ainsi que peut apparaître la relation mimétique réciproque entre art contemporain et Street art (qui est également le reflet de la relation entre art contemporain et marketing).
Le devenir Conceptuel du Street Art
Ci dessous, petite visite de l’expo de l’Aérosol, ouverte pendant 6 mois.

L’innefable Obey, utilise l’imagerie politique des dictatures communistes et nazies pour mettre en lumière le caractère dictatorial de la société du spectacle. lointain héritier d’Andy Wharol, Obey est un grand vendeur de T-shirt et casquettes pour ados dans le monde entier.

Pichação (tags à la brésilienne) et tête de mort. (Expo de l’Aérosol)

Un portrait grinçant du pape Benoît XVI à l’aérosol, entre Andy Wharol et Francis Bacon.

Pas mal, non? Moi j’aurais pas tartiné ce « Super Rober » à l’acrylique jaune par dessus cette toile. A-t-il fonction de rappeler que l’on est dans du Street Art, avec cette toile où des techniques variées sont utilisées (collage papier, collage de pierres saillantes sur la toile, etc.)? Ou au contraire, est-ce là la marque d’une démarche conceptuelle « gribouilliste », genre Basquiat, qui nous rapproche de l’art contemporain? En tout cas il est clair que les frontières sont brouillées.

Un lettrage, tout simplement, comme autrefois, mais sur une toile.

Tendance graphisme du Street Art… comme Wharol, le Che et Obey, ça finira sur des T-shirts et des casquettes.

Enfin, le Street art se préoccupe de la crise du sens!
Le devenir Street Art de l’art contemporain/conceptuel
Inversement, le street art explose dans les galeries et lieux de l’art contemporain. Ci dessous plusieurs artistes de Street Art que l’on a pu admirer à la galerie Belair Fine Art, la galerie d’art contemporain la plus bling bling de Genève, aux oeuvres les plus chères et alignées sur les tendances les plus vulgaires de l’art global.
M.CHAT (en haut à gauche) ou Jonone (en bas à droite) sont des stars du street art très bien côtés. Jonone est aussi un pionnier du graffiti et du mouvement hip hop aux Etats unis et en France. Les autres artistes -qu’ils m’excusent de ne pas les citer- sont sur la bonne voie, pour être exposés ici. Selon mes souvenirs, ces pièces valent entre 20 000 et 50 000 francs suisses… Sinon, la maison Belair Fineart vous propose un petit plaisir démocratique sous la forme d’une réplique miniature certifiée du célèbre « Balloon Dog « de Jeff Koons pour seulement 400 francs suisses.
On voit bien le devenir Street Art de l’art contemporain et le devenir art contemporain du Street Art. Tout se mélange. Après s’être différencié. Allez savoir…
Autoréférence et Autodévoration
Depuis un bout de temps déjà, l’Art contemporain à bien des égards est simplement l’avant-garde du marketing. Le second récupère les concepts que le premier a d’abord vendus à l' »élite » culturelle globale pour les proposer à la masse.
Et c’est encore plus tordu que ça, puisqu’au moins, depuis Andy Wharol, l’art contemporain copie le marketing dans une optique ironique, ironie qui ainsi descend sur le bon peuple, par effet de ruissellement (spillover effect, disent les économistes).

Ouroboros à l’arrache, bombé sur une affiche. On peut aussi y voir la circularité et le recyclage des flux mimétiques…image de la régulation sociale, de l’homéostasie. Circulation des flux entre le marketing, l’art contemporain, les classes populaires/classes dangereuses, les jeunes (voir ce post sur l’esclavage mental des jeunes) et… les hyperjeunes, c’est à dire les jeunes + pauvres + rascisés (comme dirait un égaré postmoderne).
C’est ce blob autoréférentiel qui avale le monde, auquel chacun participe désormais dans ses démarches de marketing personnel sur les réseaux sociaux ou sur le marché du travail. C’est la forme de macrocoagulation qui commande les dissolutions locales (de l’art ou de l’Espagne, c’est le même phénomène à l’oeuvre). Tout s’effrite, rien ne tient plus.

Street art? Pop art? A l’instar de l’art contemporain (et Andy Warhol est un des grands parrains de cette tendance), le Street Art se nourrit de toutes les productions culturelles passées pour les régurgiter sous forme de… Street Art.
Le retour aux sources, utopie et déception
Donc c’est drôle de voir que ce mouvement qui était tout d’abord une étiquette pour vendre des artistes graffiteurs dans les galeries est maintenant en train de tourner le dos à ses racines (voir cet article déjà cité plus haut avec la polémique sur la différence entre Street Art et Graffiti Art). Je parie que bientôt, on va avoir des expos de Graffiti Art qui seront vendues comme le vrai retour à l’art de rue, par opposition au Street Art, corrompu, artcontemporainisé, marketingisé… Mais l’art contemporain a fait de même en cooptant le street-art… c’était une tentative de retour aux sources, à l’innocence, grâce à la jeunesse, grâce à l’inventivité des gosses des ghettos.

« Vandalism », Profession de foi des puristes du graffiti. Toile exposée à la rétrospective Street Art à l’Aérosol, financée par l’argent du contribuable. Eternelle contradiction de l’embourgeoisement de l’art, comme des avant-gardes.
PS: Pardon encore pour les artistes non cités, et pour les toiles mal cadrées. Mea maxima culpa! Je vais faire fouetter l’hédoniste papillonnant qui m’habite.