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Installation du camp Big, la Biennale des cultures alternatives de Genève (fin juin 2017), trois jours de rêve, d’utopies et d’auto-organisation. Les organisateurs voient dans l’utilisation de containers industriels un écho à la mondialisation et entendent par là en capter les bonnes ondes tout en en rejetant les bad vibes.

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Le Steampunk avait pris dans mon aventure mystico-théorique une place exceptionnelle. Il apparaissait comme une glue qui permettait de recoller tous les morceaux des contrecultures (contestataires) éparses qui avaient tapissé petit à petit le patchwork de la postmodernité, des rockeurs à Daesh, en passant par les hippies et les punks.

Or quelques jours après ce post qui vous présentais le steampunk et le burning man festival comme des vecteurs majeurs de la néoculture actuelle, je suis tombé presque par hasard sur la réplique du burning man chez moi à Genève, sur la plaine de Plainpalais. Je n’ai pas manqué d’y voir un signe de la justesse  de mes intuitions sociologiques, bien plus précises que n’importe quelles statistiques assaisonnées d’indigestes justifications méthodologiques servie par quelque nervis académique.

Sur la place de Plainpalais, transformée en un petit désert du Black Rock, le BIG 2015 (en bas), le BIG 2017 en haut à droite. Entre les deux, l’immense camp du Burning Man festival. Des formes ésotériques diverses… Stonehenge pour le Big 2015; une sorte de rosas maya ou de piste d’atterrissage d’ovnis pour le Burning Man (je n’ai pas trouvé d’info précise là dessus, mais on peut faire confiance aux néohippies de burning man pour s’inspirer de quelque mystique new âge dans ce genre de démarches).

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En arrivant au Big…

Big, c’est un camp un peu Mad max, un peu Steampunk, un peu cyberpunk (plein d’ordinateurs et gadgets électroniques partout), avec plein d’espaces divers, bien pensés, végétalisés ou désertiques, conviviaux, inédits, tout ce que vous voulez.

Pas de doute, ça rappelle le burning man, la grande foire néohippie steampunk que j’ai décrite dans la fin de mon post sur le steampunk. Je vous en mets encore quelques photos pour la comparaison.

Bon, il y a plus de moyens au Burning Man, c’est sûr. Et c’est le charme du Big, qui est bien la biennale des espaces alternatifs (ou « indépendants ») de Genève. Ici, les organisateurs ont bricolé le Big à mesure humaine, tandis que les constructions cyclopéennes du Burning Man sont le résultat d’une organisation alternative d’ordre industriel, résultat obtenu grâce à des moyens obscurs et à peu près illimités (sans doute un large conglomérat de mécénats des firmes de la Silicon Valley, de bonnes volontés intéressées de grands artistes plasticiens, architectes et firmes de communication, et, bien sûr, le bénévolat de communautés néohippies, innombrables en Californie et ailleurs, dont beaucoup de membres consacrent tout leur temps à la préparation de cette grande messe annuelle).
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Steampunk, toujours

Au Big comme au Burning Man, on retrouve partout les signes du Steampunk, cette glue culturelle qui sert à rassembler dans une culture de l’éclectisme intertribal ce qui a été séparé par la postmodernité.

(Je m’étais faitune petite typologie par époque de l’histoire des tribus et de la postmodernité… Vous la retrouvez sous forme détaillée et 1 peu éparpillée dans ce post, mais je vous la résumée dans la suite de ce paragraphe entre parenthèse…. Avec le post-moderne 1 qui correspond à l’âge cyberpunk et des tribus pures/classiques de jeunes [Punks, rockers, rappeurs, etc.] auquel a suivi le postmoderne 2 qui correspond à l’âge des tribus postmodernes qui sont désormais trans-âge, et trans-style… j’y reviendrai dans un post de synthèse qui clarifiera cette théorie et la rendra purement incontournable).

Au dessus d’un container a été installée une grande baignoire jacuzzi dont la vapeur (steam) s’échappe ostensiblement d’un tuyau chromé. Les baigneurs sortent nus et enfilent un peignoir. Autre point définitivement Steampunk, un des containers est un espace où de l’eau est vaporisée toutes les 20 secondes pour la joies des enfants et des festivaliers qui désirent se rafraîchir.

Tapis persans, colonnes doriques, objets art nouveau, comme le phonographe, ou ce lit rouge sur lequel un poète néodadaïste déclame au micro des poésies incompréhensibles… L’éclectisme Steampunk rétrofuturiste vient réenchanter la modernité faillie. Avec lui, on réintègre les formes du progrès heureux de la fin du XIXème siècle dans notre (post)modernité désenchantée, sur les ruines éparses de toute l’histoire des objets et des modes.

On conjure les cauchemars cyberpunks ou postapocalyptiques incarnant les intuitions et passions tristes de notre époque. Grâce au réenchantement Steampunk, on en inverse la valeur et la repositive.

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Performativité et Performance

Repositiver, réenchanter, c’est la fonction du steampunk, et c’est une fonction performative (=une expression [verbale, artistique] qui crée un changement dans la réalité).

Et de la performativité, on en trouve dans une discipline artistique intensément postmoderne: la performance, où l’artiste se met en scène en un acte spectacularisé qui tient lieu d’oeuvre (où l’art entend souvent s’arroger une fonction rituelle, qui peut aller vers la néoreligion new age… comme la crémation du bonhomme de bois au Burning man).

Au-dessus du Big, et durant toute sa durée, l’artiste « performer » Abraham Poincheval a vécu en autarcie sur une plate-forme au sommet d’un mât de 30 mètre (à vue de nez), insufflant à l’événement par le haut sa petite légitimité de buzzeur néodadaïste, à mon avis usurpée (mais c’est souvent le principe de l’art contemporain que de sanctionner le pur buzz, c’est à dire l’usurpation en soi, donc tout va bien). Auparavant, Poincheval a couvé des oeufs pendant 3 semaines jusqu’à éclosion au Palais de Tokyo à Paris, ou vécu quelques semaines à l’intérieur d’un ours empaillé…

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Concert performance: deux rappeurs queer exécutent des versions cover de vieux tubes de rap: Public ennemy, les Beastie Boys, NWA… 

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La culture de la dérive

J’ai toujours aimé dériver dans les espaces désignés pour bobos en mal d’ambiances nouvelles par les gens de l’art contemporain, avant-gardistes culturels et marketteurs (3 domaines qui convergent, voire fusionnent aujourd’hui, au Big ou, de façon plus radicale, au Burning Man.)

Dans chaque container, une ambiance différente, désignée par un artiste qui nous invite dans ses délires et expériences… bruits dans le noir, décors psychédéliques, rétro, futuristes, rétrofuturistes, jeux de lumières, expérimentations avec des instruments de musiques, gadgets électroniques, ordinateurs, etc… On peut même se faire faire un passeport pour une république utopique dont je ne me rappelle plus le nom.

C’est ce dont je parlais déjà il y a 6 ans en qualifiant la Biennale de Venise (1ère foire mondiale de l’art contemporain) de disneyland pour bobos. Dériver autour de sensations diverses, d’ambiances variées, changeantes, comme dans les rêves psychédéliques de la Beat Génération, des situationnistes ou des surréalistes.

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Dérive « marketing » de la « Dérive »

Ce qui me chiffonne, c’est que cette pratique de la dérive célébrée par ces grands ancêtres de l’avant-garde culturelle semble moins une pratique contestataire ou émancipatrice, qu’une forme universelle de rapport au monde unifiant toute expérience humaine à l’air du capitalisme hédoniste, que ce soit dans un supermarché, une école, une biennale d’art ou un festival de musique.

Point de convergence définitivement impensable et aveugle pour les élites de la gauche culturelles qui se célèbrent et se perpétuent dans ce genre d’évènements: la congruence entre les recherches artistiques d’avant-garde et le marketing. Aujourd’hui, on cherche à designer les expériences du consommateur-citoyen, avant les objets consommés. L’art, comme le marketing englobent toute notre expérience et nous designent donc, au lieu de concerner strictement les objet que nous percevons extérieurement, selon la vieille dichotomie décriée entre le sujet et le monde. On est englobé de force (comme l’était déjà le spectateur dans « Fontain », l’oeuvre de Duchamps, séminale pour tout l’art contemporain).

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Il reste qu’il est infiniment plus fun et plus reposant pour les neurones, de vivre une expérience instantanée, qui vaut pour elle-même, que de rentrer en contact avec une oeuvre d’art classique qui nous demande d’en connaître les codes pour en saisir la profondeur. Voilà une des raisons du succès (certes relatif, certes contesté) de l’art contemporain, et de l’oubli progressif de la culture classique.

Dans cette esthétique plate, on est happé sans difficulté. Et je me laisse intoxiquer avec plaisir par ces stratégies de gestion de la conscience raffinées, même si je sais qu’elles sont structurellement destinées à être recyclées sous des formes plus vulgaires par le marketing, à destination de la masse des consommateurs-citoyens.

DJ Mad Max très serré

Un DJ et un petit soundsystem à la Mad Max

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Expérience fun

A l’intérieur du camp, en ne relevant pas trop la tête, on oublie presque les bâtiments autour de la Pleine de Plainpalais (la plus grande place de Genève) et se croit dans un désert BurningManesque, aidé d’autant plus par la terre battue ocre qui a été placée lors du dernier réaménagement en date de la place par la Ville de Genève.

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Dans ce dédale qu’on aimerait certes plus grand pour mieux se perdre, la dérive reste très joyeuse. Ce serait parfait pour prendre un acide. Comme au Burning Man, cyberwoodstock annuel où la consommation de drogues est institutionnalisée. Heureusement ou malheureusement, les alternos genevois sont infiniment plus raisonnable. Calvin continue de peser sur nous, quoi qu’on en dise.

Néanmoins, je rencontre sur une plate-forme végétalisée un jeune hipster de 25 ans qui est persuadé que moi et le camarade avec qui je bois une bière sommes au dernier stade de la défonce… Acide, extasy ou Métemphétamines… il hésite sur le diagnostic. Rien à faire pour le détromper, donc pour finir nous lui avouerons que nous avons pris de l’acide.

Cette anecdote montre que 1) il doit tout de même y avoir pas mal de drogue qui tourne et 2) que moi et mon camarade (quadragénaire comme moi) sommes définitivement restés cool.

Le jeune en question travaille dans la e-réputation. Il nous explique que cela consiste à créer du parasitage cognitif! Il crée des sites qui noient les résultats google gênants pour ses clients. Cela me rappelle que toute l’entreprise de domination de la Silicon Valley pourrait être qualifiée de parasitisme cognitif, et même plus largement, le marketing et ce que j’appelle le domaine de la gestion de la conscience, vers lequel convergent tant de choses.

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Nerds, avant-gardistes et officiels de la gauche culturelle

Cela me permet aussi d’évoquer les ordinateurs, les nerds et plus généralement la sociologie du public du Big: alternatifs, artistes, officiels de la Ville qui distribuent largement les subventions aux précédents, et les nerds, donc, hérauts de la nouvelle convergence universelle.

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Ordinateurs mis à disposition, avec des casques d’écoute aux séduisantes lumières diaphanes, en vogue partout dans le monde, qui permettent d’organiser des soirées DJ silencieuses.

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 La colonie de vacances

Enfin, il me faut dire un mot de l’évènement le plus cool du festival, une des meilleures performances musicales auxquelles j’ai assisté ces derniers temps. Il s’agit du concert de La colonie de vacances,un groupe constitué de 4 formations qui jouent ensembles, en quadriphonie live, donc, des riffs hypnotiques métal-techno (éclectisme, donc).

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Mes films ne donnent rien. Donc, je vous mets ici une séquence de Tracks qui montre assez bien le délire grandiose psychédélique qu’était leur concert au BIG.

Ca me fait penser aux expériences des Grateful Dead, groupe mythique de la contreculture qui dès les années 60 proposait des expériences à vocation psychédélique avec, outre le LSD, des équipements sonores futuristes, stéréo- ou quadriphoniques.

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The Wall of sound, installation sonore démesurée, surtout pour les années 70, créée par l’ingénieur du son et chimiste Owsley Stanley, qui fut aussi l’un des plus grand productucteur de LSD des années 60-70.

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Gongluzion…

Une Généalogie discrète:

Contre-culture, LSD, Marketing, Silicon Valley

Tout comme Timothy Leary, les Grateful Dead ont été des promoteurs acharnés du LSD, notamment à travers les fameux « acid tests » qui avaient lieu lors de leurs concerts. Tout comme Leary, ils étaient entourés d’agents, de chimistes et de psychiatres qui travaillaient pour la CIA. Dans ce post, j’évoquais les doutes de nombreux hippies qui se demandent comme moi si la contre-culture et le LSD ont été lancés délibérément par la CIA pour déstabiliser la jeunesse militante.

Je ne trancherai pas ici ce débat, mais je constate seulement que Leary tout comme les Grateful Dead ont à partir des années 90 fait la promotion de l’informatique et de la « utopie de la communication », qui devait être émancipatrice et libératoire, et que cette technologie avait finalement les mêmes vertus transformatrices que le LSD (« The PC is the LSD of the 1990s » disait Leary, et les Grateful Dead, encore actifs aujourd’hui, ont fait des déclarations similaires)! Leary a même fini VRP pour la Sillicon Valley et le transhumanisme (notamment avec un livre appelé « Chaos and culture ») qu’il considère comme la destination de la grande utopie qu’il a participé à créer dans les années 60… Une forme d’évolution logique… Voilà qui incite à un réexamen détaillé de tout l’héritage de la révolution culturelle des années 60-70…

Dérèglement, dérive, Interstices… de la contreculture au marketing

En effet, la contreculture a promu et continue de promouvoir le désordre et le dérèglement des sens (expression de A. Rimbaud), et que, ce dérèglement et désordre est aussi promu par l’idéologie manageuriale du capitalisme, inspirée par la cybernétique (dont on trouve d’innombrables traces dans la contreculture des années 70, chez Leary et Huxley son mentor, qui fut un promoteur de la cybernétique aux Conférences Macy). Plus préoccupant encore: le capitalisme hédoniste requière un individu influençable, post-rationnel et c’est à la fois à produire ce genre d’individus qu’il emploie son énergie et à exploiter ce genre de psychologies suggestibles, post-rationnelles… à la dérive (le dérèglement se range dans le même style de méthodologie artistico-existentielle que la dérive des situationnistes, et sa dérive marketing…)

Même Gilles Deleuze qui a beaucoup critiqué le capitalisme, pensait tout de même que cette grande mise en bordel de tout allait nous permettre, subrepticement, de finalement nous libérer de l’oppression de la rationalité et de l’identité. De même, Michel Foucault parlais d’hétéronomie qui ressemblaient bien à des utopies florissantes à moitié esquissées.

De même, les organisateurs du BIG nous expliquent dans la Tribune de Genève qu’ils entendent détourner l’objet container de sa fonction naturelle de « standardisation ».

Personnellement, j’ai du mal à croire à cette utopie de l’interstice, partagée par un autre pape de la contre-culture récente, Hakim Bey, présent dans tous les infokiosques et bibliothèques anarchistes. Je trouve plus franc et plus sain de penser que je gère mon auto-intoxication.

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