J’avais pensé que notre système postmoderne un peu pourri, appuyé sur la dette et la surconsommation, était fait pour ne jamais s’effondrer. Je pensais que l’impression qu’il donnait de toujours s’effondrer était sa façon la plus subtile de ne jamais vraiment s’effondrer. Jusqu’à la crise Covid.

Maintenant. Je pense que nous allons vraiment voir la fin. Nous voyons la fin. Mais qu’est-ce qui se termine? 

La démocratie? Le capitalisme? La liberté? L’état par défaut où l’on n’est pas parano?

Remontons vers les conditions matérielles de production du système que nous voyons imploser. Depuis un certain temps la production est entraînée par la consommation. La consommation produit la

production. Et le système de crédit  produit la consommation. C’est ce système qui va s’effondrer. Et sur ce système reposait effectivement notre belle illusion de démocratie.

Ce processus qui a été bien décrit par Baudrillard et d’autres arrive à son terme maintenant. Il a consisté en l’avènement progressif de l’individu libre, mais de plus en plus désaffilié, le consommateur occidental. C’était le capitalisme libidinal, sous-tendu par le désir désublimé, canalisé par le marketing, de plus en plus dénoncé comme une société des addictions (Bernard Stiegler parlait de la consommation malheureuse). Le mythe (qui s’est progressivment craquelé) est que nous étions dans la société de l’abondance, du plaisir et de la liberté, avec sa démocratie (formelle, en tout cas). Bien sûr ce n’était pas vraiment la liberté, mais pour l’homme occidental, pendant longtemps, ça y ressemblait suffisamment. 

Mais il s’agissait cependant d’une rationalisation et d’une extension du système de production capitaliste: on avait littéralement spécialisé l’Occident dans la consommation et la Chine dans la production. 

Analyse marxienne telle que la faisait Bernard Stiegler: après les destructions des deux guerres, il y a eu le productivisme occidental entrainé par la reconstruction. Dans les années 70, arrivent les premières crises. Baissse tendancielle des taux de profits, nécessité de rationalisation (économies d’échelle, extension/uniformisation des marchés, domaine de l’intimité de plus en plus intégré à la marchandise). Il faut élargir les marchés et concentrer la production. Se constituent des géants à tendance de plus en plus monopolistiques. Puis la production est de plus en plus contrôlée par la finance à travers ces processus de rationalisation. Et le tout est propulsé par la canalisation subliminale par le marketing des masses occidentales consommatrices.

A un stade avancé, la propagande (marketing, com, relations publiques, management) dans le système occidental semblait se rapprocher des sytèmes de conditionnement radical de l’opinion des dictatures fascistes ou communistes. Mais ceci était tempéré par le fait que l’élément moteur de ce système était le désir du consommateur, de l’individu au libre choix, lointain héritage des Lumières. Et cet individu égoïste et débarrassé de ses prérogatives politiques et citoyennes était censé justifier la neutralité du système (telle était l’argumentation de Francis Fukuyama, dans son bestseller La Fin de l’histoire et le Dernier Homme).

La licorne, animal imaginaire, dans lequel se projettent nos enfants est devenu le symbole de l’occident. Celui du rêve où l’occidental moyen pensait vivre, insouciant de toutes les conditions de production matérielle de sa vie. La plupart y vivent encore, qui se disent que tout ceci (l’état d’urgence sanitaire) finira bien par s’arrêter.

La dette et la Chine

Derrière cette civilisation libidinale du loisir, du plaisir, de la fête, il y avait la Chine qui travaillait pour nous…. Et au fond de ce processus, il y avait surtout la dette. La dette hyperbolique. (En allemand, Schuld veut dire dette autant que faute, culpabilité.)

La société de sas, de paliers et d’accréditations qui s’esquisse nettement avec la pandémie est à peu près l’antithèse de la société de consommation démocratique postmoderne où nous avions vécu ces 40 dernières années. Brusquement, nous passons d’un coup d’un paradigme de consommation à un paradigme de contrôle. Culpabilité, chantage psychologique, injonctions contradictoires.

La fin de l’individualisme

A présent que tout le travail, toute la production a été exportée (à peu de chose près), le consommateur libre occidental n’a peut-être plus de raison d’être. Ce système de spécialisation (Occident consommateur, Chine productrice) a déjà été tendu au maximum. C’est ce que les accidents qui s’accumulent depuis plus de 10 ans ont montré: Subprimes, Brexit, Trump. La globalisation, sous le signe de l’alliance de Wall Street et Pékin, a atteint ses limites extrêmes. 

La valeur était jusqu’ici indexée sur la dialectique consommation/production, qui correspondait au processus de division des rôles (production pour la Chine consommation pour l’Occident) dans un système monde intégré. A présent il semble que nous alloons entrer dans une période de concurrence symétrique avec la Chine, non plus de complémentarité. Les systèmes d’évaluation de la valeur vont en être bouleversés.

Valeur indexée au contrôle

D’où l’on voit poindre un système où la valeur économique sera indexée directement sur une capacité de coercition et de contrôle sur les sociétés, plutôt que sur leur capacité à consommer/produire (comme c’est encore le cas dans notre système de comptabilité actuel surréaliste et sans doute déjà obsolète).

Ce qui est énervant, c’est que ce nouveau système va être imposé aux occidentaux par les mêmes oligarques occidentaux (je pense au WEF et à son Great Reset), qui l’ont auparavant poussé à la consommation pendant 80 ans par tous les moyens (particulièrement des moyens subliminaux de la pub/marketing). Les mêmes qui sont les véritables responsables de la catastrophe vont dérouler une subtile rhétorique de la culpabilisation, qu’ils empruntent sans vergogne aux écologistes et à la gauche, pour justifier le contrôle et les frustrations qu’ils vont nous imposer. A un point que peu imaginent.