En voyant ce Bles orange à Bernex, ainsi que (c)Hoco (ci dessous), qui se fait très présent à Genève avec ses « O » en forme de diamant typiques de la pixaçao, j’ai pensé que le temps était venu de faire une petite comparaison entre Tag et pixação.
La pixação (prononcer pichação), c’est le tag brésilien. Il y a dix ans, quand des Brésiliens m’en parlaient, je pensais que ce n’était que la traduction du mot « tag » en brésilien. Je me disais que ces trucs anguleux sur les murs de Rio étaient faits par des gens d’un pays en développement qui n’avaient pas encore été touchés par la grâce du vrai hip hop. Ce n’est qu’à l’été 2009 qu’un documentaire visionné à la fondation Cartier a dissipé mes préjugés. Loin de représenter un retard, la pixação était au contraire une expression tout à fait spécifique du foisonnement culturel brésilien.
Rappelons pour être clair que le tag, c’est la signature qu’on barbouille partout pour dire « J’y étais » (tag, ça veut dire étiquette en anglais). Pour certains c’est du vandalisme. (On entend facilement « J’aime bien les graffitis mais pas les tags ».)
Des taggeurs yamakazis
La pixação est un art extrême, avec des pratiques acrobatiques et physiquement dangereuses. On y pousse toujours plus loin la recherche de visibilité. Ses adeptes escaladent un immeuble à mains nues mieux que spiderman pour trouver un espace visible, toujours plus haut. Ils accèdent courramment aux toits par effraction et font d’immense lettrage sur le sommet d’un immeuble. La compétition entre pichadores est féroce et la notoriété, bien sûr liée aux endroits difficiles et inédits où l’on place sa signature. D’où une certaine proximité dans les pratiques entre les pichadores brésiliens et les adeptes du Parkour, cette discipline popularisée par le film Yamakazis.
Rondeur vs Angles
La pichação est tout en angles et en pointes exacerbées. C’est une suite de lettres souvent séparées, en tout cas alignées, inscrites à la bombe, au feutre, au pinceau ou même au rouleau. Leurs formes sont issues des armoiries des pochettes des albms de heavy métal du XXème siècle -Motorhead, Iron Maiden, Metallica, Slayer etc- eux-même inspirés par les anciennes calligraphies européennes: runes celtiques et lettres gothiques. Le Metal a eu un grand succès dans toute l’Amérique latine et particulièrement au Brésil. Voilà pour une brève généalogie d’un phénomène qui en 30 ans a envahi les favelas comme les centres des grandes villes brésiliennes.
L’esthétique du tag « traditionnel » est, elle, tout en rondeur. Commme le Hip Hop, le tag vient du New-york des années 70. Sa ligne courbeépouse les obliques du métro de la grande pomme. Ses lettres sont emboitées, organiquement liées, voire effectuée d’un mouvement continu, comme une vraie signature. Groovy, funky, odd, ces mots transcrivent bien des valeurs de la culture noire américaine qu’on pourrait grossièrement opposer au classique, au carré (square) et au droit (straight), propres à une culture dominante blanche.
La pichação se situe bien sûr hors de cette opposition funky/square, très états-unienne. Ses réminiscences nordiques au coeur de l’âpre béton brésilien ont suscité un intérêt international. Peut-être parce que, tandis que le monde entier a copié le tag new-yorkais, le Brésil a réussi a produire une pratique équivalente, mais qui semble indépendante de la source américaine, et qui lui est contemporaine et non postérieure. En portugais, tag se dit bien pichação, alors que dans la plupart des autres langues on a gardé le mot anglais.
Un art de rue en voie d’institutionalisation
Pour terminer je ne résiste pas à raconter une histoire grinçante, assez représentative de la récupération actuelle du street art. La très institutionnelle biennale d’art de São Paulo 2008 a subi une descente collective de pichadores qui ont maculé un espace d’exposition (inoccupé). Cette attaque de peinture (vidéo ici) a été prise très au sérieux par les organisateurs et le curateur de la biennale qui ont porté plainte. Une femme a passé plus de 50 jours en prison pour l’exemple (elle fut la seule à être attrappée). Ceci a scandalisé les artistes et la majorité des acteurs de la culture brésilienne. Du coup, deux ans plus tard, pour se racheter, la biennale 2010 a invité des pichadores et organisé un grand évènement autour de ce mouvement. Vous pouvez retrouver ici en portugais la fumeuse sophistique mise place par le curateur de la biennale 2010, autour de la force politique de la pixação et son extraordinaire pouvoir transgressif qui justifient sa présence à la biennale.
Excellente histoire de l’origine du pixação. Et de l’attaque de la biennale ! j’ai cherché une vidéo, et j’ai trouvé ça: http://www.youtube.com/watch?v=AzNtWBOcGWU.
Merci, Je vais la rajouter dans le post.
Bien sympa les photos.
Texte pertinent.
Rein à dire… du bon boulot.
Merci pour ce joli tour d’horizon de la calligraphie urbaine. Je vais arrêter de dire : « J’aime pas les tags, mais les graffitis oui » ; je dirai : « vive la pixação ».
J’adhère à la pichação, aux graffitis et aux hashtagages intempestifs 😉
Merci pour ton article sur la pichação. Je ne connaissais pas du tout. C’est assez cool!
Magnifique étude sur le pixaçao, dont, je l’avoue, j’ignorais l’existence.
Une veille artistique de premier ordre, me voilà devenu lecteur de ce blog!
Belle explication ! Merci 🙂