Elle lève, puis baisse la tête, puis la relève pour me répondre. En haut, en bas. Distraitement m’écoute, mais ses doigts continuent de remuer sur l’écran. En haut, en bas. Elle se partage entre moi et ce petit appareil qui représente tant pour elle comme pour tant d’êtres humains depuis 4 ans qu’il existe.
« Tu m’écoutes?
-Oui, je mettais juste un « like » sur le statut de Matthieu. »
Le pire c’est qu’elle trouve ça normal. Gérer sa vie, son réseau, ça n’attend plus. Nous sommes tous les secrétaires incessants de nos vies. A l’heure où le destin se cache à chaque instant quelque part sur la toile, il faut bien mettre l’immédiat entre parenthèse.
Nous restons là. Pendant qu’elle gère, je rêvasse en suivant le manège de ses doigts. Mais tenez-vous… Dans 2 semaines, j’en aurai un. Le même, mais en plus neuf. Il aura la tactilité d’un petit animal à caresser sur la table ou même sous, sur ses genoux, tout en discutant avec les gens physiquement présents. C’est presque une différentiation des canaux de communication: visuel et auditif pour l’interlocuteur direct, tactile pour le réseau. A l’évidence, ceci répond à un besoin existentiel de l’homme postmoderne. Je lui fais part de mes conclusions… en haut, approbation polie, en bas…Un poke, like ou quelque tweet lancé.
…´
Comme ça commence à bien faire, j’émets une conclusion cynique et lapidaire: « C’est cool: c’est le meilleur moyen de combler le vide irrémédiable à toute conversation. » Elle me regarde interloquée, puis redescend. En haut, en bas, déboussolée. Je répète: « C’est le meilleur moyen de combler le vide irrémédiable à toute conversation. » …
Elle comprend. Gravement, elle pose son appareil sur le côté:
Oui, désolée, quelque chose a dérapé, j’en prends soudain conscience. Et pourtant je le sais. Converser est un art incomplet par essence où seul l’ennui sait faire danser la passion. Je l’arrête: elle irait se mettre à chialer. Non, mon amie. Toutes ces bonnes paroles, ne sont que voeux pieux. Dans deux semaines, moi aussi je serai un cyborg. Cela lui fait mal.
Ensuite, elle essaie de nous persuader qu’une utilisation raisonnable de l’objet est possible. Car il y a des aspects positifs, et on aurait tort de s’en priver. On a des conversations à plusieurs. On crée des connexions inédites. Les soirées tournent à de vrais feux d’artifices électroniques qui se transforment en meutes d’amis avec lesquels nous colonisons des espaces festifs encore inexplorés. Et toi, tu tagueras toute la ville avec Foursquare et aucun policier ne t’embêtera jamais. Moi, je me repais déjà de tweets énergiques et bien sentis qui créent beaucoup d’agitation dans certains milieux. Etc…
Et je ressens déjà la nostalgie de l’absence de smartphone dans ma vie.
lorsque je lis cet article, je suis heureux de ne pas encore avoir succombé à cette frénésie du smart phone et/ou pire du i-phone. n’étant pas un « fashion addict », même si les accrocs justifieront l’utilisation indispensable d’un tel appareil de manière totalement rationnelle, j’imagine facilement que je dois paraître pour la plupart comme un personnage anachronique.
soit, je ferais donc l’objet d’une étude par les seuls paléontologues et ethnologues qui liront ce commentaire.
Nostalgique?