Tout est dans le titre: « Murder Most Foul ». C’est ce que dit le spectre du père de Hamlet dans la tragédie de Shakespeare. « Le jour où ils l’ont tués [remarquons le « ils » indéfini, typique de la rhétorique complotiste], quelqu’un m’a dit « Gamin, l’’âge de l’antéchrist vient de commencer. »
The day that they killed him, someone said to me,
« Son The age of the Antichrist has just only begun »
Il y a une semaine que Bob Dylan a publié une chanson sur internet extrêmement étrange. Autant le dire: c’est une chanson complètement complotiste et apocalyptique, prompte en ces temps d’incertitude virale et confinementale à attiser la déraison des masses;)

Bob Dylan, tout jeune, aka Robert Zimmerman.
(Notons qu’hier, c’était la « journée du fact-checking »… ça ne s’invente pas… consacrée cette année spécifiquement à la lutte
contre les fake-news sur le CoVid19… mobilisant une centaine de médias dans soixante pays, sous l’égide du parlement européen et d’une ONG qui combat les Fake News, Poyniter, financée par les milliardaires et oligarques américains des plus troubles et troubles, comme George Soros, la fondation Mellon ou Charles Koch, les géants ud Net, Google, Facebook, sans oublier Voice Of America, officiellemnent liée au gouvernement US et à peine moins officiellement à la CIA)
Pourtant aucun des sites et journaux praticant le fact-checking qui s’occuppent tant du bon usage de la raison, de notre santé mentale et épistémique, n’a osé Dylan clouer au pilori anti-complotiste… Sans doute le privilège des légendes vivantes.
Dans tous les articles que j’ai lus, certes on souligne l’étrangeté de la chanson (qui dure 17 minutes!!!) et la référence à la culture complotiste. Mais cette référence s’inscrirait dans une démarche artistique de citation qui revisite kaléidoscopiquement la culture américaine, la musique, le cinéma, les grands mythes et, par conséquent, le complotisme (en tant qu’élément majeur de la culture pop US).

Bob Dylan aujourd’hui
Complotisme pur jus vs Complotisme ironique et distancié
Comme si tout cela était un jeu distancé, une fine ironie autour de ce phénomène culturel qu’est le complotisme. Cette ironie est devenue un poncif de la culture médiatique postmoderne des « élites culturelles ». Le « complotisme », devenu vintage et correctement transfiguré par le second degré, n’est plus une pathologie épistémique touchant le petit peuple, mais un élément de distinction des classes « créatives ». Pourtant, je le maintiens, Dylan ici semble absolument clairement soutenir une thèse complotiste forte et clairement énoncée, au premier degré. L’analogie qui saute aux yeux entre Hamlet et le peuple américain orphelin de son président, spolié par un ennemi qui se dissimule par la tromperie généralisée, saute aux yeux. Dylan est bien complotiste!
Il affirme, certes de manière poétique et onirique, mais cependant avec une grande clarté, que JFK a été assassiné par une cabale opaque politico-maffieuse (CIA, maffia, complexe militaro-industriel, etc.).
Tu as des dettes impayées, et nous sommes ici pour la collecte
You got unpaid debts, we’ve come to collect
(Allusion au fait que JFK aurait été élu à la suite d’un pacte que son père, qui s’était lui-même enrichi par le trafic durant la prohibition, aurait conclu avec la maffia américaine pour faire élire son fils qui devait selon ce pacte assurer les intérêts de la maffia. )

S. Giancana, patron de la pègre de Chicago, à qui JFK devait son élection, compte parmi les nombreux suspects dans la théorie d’un complot contre JFK
Spoliation originelle
Il dit aussi assez clairement que l’assassinat de JFK fut l’événement inaugural d’un long processus de spoliation et de décadence fatale:
I said the soul of a nation been torn away
And it’s beginning to go into a slow decay
(J’ai dit que l’âme d’une nation a été arrachée/déchirée
Et cela commence à se désagréger (à « décader »…)
Comme Hamlet, le peuple américain est dans l’ignorance de quelque chose de pourtant évident, qu’il pressent sans doute avant même la rencontre du spectre de son père.
The day they blew out the brains of the king
Thousands were watching, no one saw a thing
Tout le monde regardait, mais personne n’a rien vu.
La vérité est cachée. Le peuple a été victime d’un tour de prestidigitation.
Pour en revenir à Shakespeare, même lorsque le fantôme de son père lui apprend qu’il a été assassiné par son frère (« Murder most Foul »), Hamlet ne le croit pas. La vérité dérangeante est proprement incroyable. Le fils spolié doit vivre avec le doute, mimer la folie ou la vivre, avant de confondre son beau-père, grâce à la mise en scène qu’il organise avec ses amis comédiens.
Un point notable dans la chanson est l’accusation contre Johnson, le vice président qui a pris la place de JFK, comme Claudius, l’oncle de Hamlet assassin et usurpateur du roi.

To be or not to be… Hamlet considère le suicide… ou alors il pense que ne pas « dévoiler la vérité », c’est « ne pas être »…qu’il n' »est » pas, et que la seule façOn d' »être » c’est de confondre les coupables et récupérer le trône qui lui revient…
We’ve already got someone here to take your place […]
Johnson sworn in at 2:38
(Nous avons déjà quelqu’un pour te remplacer » […] « Johnson fut intronisé [a juré] à à 14h38)
Ici Dylan est plus complotiste que Shakespeare. Si Claudius semble agir de lui-même (privilège d’une histoire/historiographie personnaliste du moyen-âge?), Johnson n’est que le pion d’un « We », d’un « They » nébuleux et totalisant, caractéristique de l’orientation de pensée apocalyptique du complotiste. Le monde est obscurément contrôlé par des forces obscures et maléfiques… Pensée proche des gnostiques qui eux-mêmes ont un récit originel de spoliation où le mauvais démiurge (Satan, pour le dire vite) aurait pris la place du bon Dieu et serait responsable de la création de ce monde mauvais.

Stupéfiante image: JFK touché git sur la banquette tandis que Jackie Kennedy tente de quitter la voiture par l’arrière. Le garde du corps qui court vers Jackie parachève la perfection picturale de la photo.
Hamlet est-il complotiste?
La situation d’Hamlet est exactement celle du complotiste dans notre société qui pense que structurellement il y a quelque chose qui ne va pas, qu’on peut pas en parler, que c’est tabou, et qu’un jour la vérité sur cet état structurel dysfonctionnel adviendra. (Structure proprement apocalyptique [qui attend le dévoilement, la révélation (apocalypsis = en grec dévoilement) de la vérité] de la pensée complotiste.)
Le complotiste est considéré comme fou, car il semblerait qu’a priori il ne peut pas y avoir de complot à une large échelle commandé par une coalition d’intérêts et d’intentions questionnable. Et ceci en retour est considéré par le complotiste, dans sa « folie », comme un signe indiquant structurellement le complot: si la doxa considère que ce n’est pas possible, ce genre de coalition obscure ne peut que prospérer et s’épanouir, puisqu’assurée de son invisibilité (« La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. », disait Baudelaire dans le Spleen de Paris, dans un récit où le diable semble le moteur secret du progrès de ce XIXème siècle honni par le poète).
La complicité du ShowBiz
Dans cette longue complainte dylanienne, il est un sujet peu moins saillant que la dénonciation d’un complot monstrueux contre le peuple américain assimilé à Hamlet, mais qui transparaît tout de même. Contrairement à la pièce de Shakespeare où les artistes sont les alliés de Hamlet pour faire éclater la vérité, dans « Murder Most Foul », Dylan semble dénoncer toute l’industrie du Showbiz, en particulier la musique, comme ayant participé à couvrir le crime originel.
Hush, little children, you’ll understand
The Beatles are comin’, they’re gonna hold your hand
(Chute, petits enfants, vous comprendrez… Les Beattles arrivent, et ils vont vous tenir la main)
Référence au premier tube des Beattles « I want to hold your hand. »
Les Beatles, la « British invasion », arrivent en février 1964 en Amérique et donnent l’occasion aux masses US traumatisées par la mort de JFK de se distraire et de sortir d’une athmosphère de soupçon suffocante. Cette thèse assez commune dans la « culture complotiste » US, notamment soutenue par Lyndon Larouche, activiste politique américain qui fit un bout de chemin avec Ronald Reagan, et inspirateur en France de l’inénarrable Jacques Cheminade.
A partir du troisième couplet la chanson s’éloigne de JFK pour devenir effectivement une litanie de références musicales apparemment hétéroclites, mais avec une surreprésentatiuon des groupes de rock des années 60-70.

1ère apparition des Beatles aux US, début de la « British Invasion », Février 1964, Ed Sullivan Show
Il faut « tout jouer »… pour qu’on oublier le crime originel
Play « Please Don’t Let Me Be Misunderstood »
Play it for the First Lady, she ain’t feeling any good
Play Don Henley, play Glenn Frey
Take it to the limit and let it go by
Play it for Carl Wilson, too
Play another one and « Another One Bites the Dust »
Play « The Old Rugged Cross » and « In God We Trust »
Ride the pink horse down that long, lonesome road
Références à la culture musicale des années 60-70, mais aussi d’avant, Charlie Parker, Elvis, Oscar Peterson. Il faut tout jouer pour oublier le crime originel.
Ici on se souviendra que Bob Dylan est proprement l’initiateur de la chanson politique américaine à succès. Le « protest song » starifié, qui va se transformer petit à petit en culture contestataire, et en contre-culture de masse, et sera petit à petit complètement digéré par le capitalisme culturel.
Il est à noter que tandis que la révolte politique et métaphysique va devenir un attribut presque obligé des nouveaux groupes de rock, Bob Dylan, à la suite de la mort de JFK, va abandonner son engagement politique. Et ceci lui sera reproché par ses congénaires. Pourtant, dans une optique « complotiste » à la Larouche, ou marxienne spectaculariste version Debord/Baudrillard, ce désengagement aurait tout son sens. Dylan aurait compris l’ambiguïté structurelle du spectacle dans cette société et aurait refusé de jouer le jeu.
Stars complotistes et « pacte avec le diable »
Allen Ginsberg, acteur majeur de la contre-culture, compagnon de Timothy Leary dans la croisade pour la diffusion du LSD, se demandera en 1979 s’il n’a pas été le vecteur involontaire d’une gigantesque opération psychologique de la CIA destinée à… contrôler, canaliser le sentiment de révolte des jeunes.
Dylan dans une interview très reprise dans les cercles « complotistes », catholiques ou autres, aurait admis avoir vendu son âme au diable. Ceci pourrait vouloir dire simplement et pragmatiquement qu’il pense que tout artiste à succès, dans la mesure où il joue le jeu du star-system, a vendu son âme au diable cadre aux système. Et pourquoi pas?
Le soupçon vis-à-vis d’un état US vendu aux corporation (corporate fascisme, scandaient les gauchistes états-uniens) a petit à petit été recyclé en paranoïa « complotiste », bien plus facilement discréditable. Et ceci a une grande vertu stabilisatrice: ainsi sont intégrées des critiques souvent légitimes, comme celle qui s’exerce à l’égard du pouvoir inquiétant des GAFA.
Canaliser la révolte
Figure de la musique contestataire, moins politique que métaphysique, à laquelle Bob Dylan a refusé de participer: Jim Morrison. « YOu’re all a bunch of slaves! » (Vous êtes une bande d’esclaves) s’écriait le Lézard King lors d’un mémorable pétage de plomb lors d’un concert à Miami en 1969 où il insulta le public pendant 10 minutes, menaçant de créer une émeute (scène mémorable à regarder dans le film The Doors de Oliver Stone). Cette longue éructation de Morrison apparemment sans queue ni tête prend tout son sens si on suppose que le chanteur parle de son rôle fonctionnel de canalisation de la révolte dans le capitalisme. Elle laisse supposer une vision similaire à celle que Lyndon Larouche professait sur les Beatles.

Jim Morrisson et son père, l’Amiral Morrison qui fut responsable d’un événement très louche qui suscita une montée en puissance décisive des USA dans la guerre du VietNam (l’incident du golfe du TOnquin). Autre sujet d’interrogations que nous ne ferons qu’effleurer ici: plein de stars des années 60 sont des fils de militaires ou de gens des services secrets. C’est le cas aussi du père de Zappa, qui travaillait dans la fabrication d’armes bactériologiques ou du père de Joan Baez, une toute proche de Dylan, dont le père dirigeait les expériences de lavage de cerveau financées par la CIA à l’Université de Cornell. (Ceci vient d’un livre très bien documenté sur le sujet, Weird Scenes in the Canyon. Voici la traduction du 1er chapitre, et quelques extraits choisis. On on ressort avec cette question qui vous titille assez nettement: et si l’appareil d’Etat américain avait décidé de canaliser la révolte et l’Oedipe mal vécu de tous ces jeunes? Hypothèse complotiste que l’anteur suggère san la formuler en notant les innombrables liens entre les groupes de rock des 60’s et les services secrets/l’armée)
Citons encore Frank Zappa qui s’ajoute aux nombreuses stars « complotistes », dont je m’amuserai un jour à faire la liste. Du haut de sa position de génie à qui l’on passe tout, Zappa affirmait que le « Corporate Fascism », dirigé par une oligarchie politico-financière, était bien la réalité profonde des USA. Me reviens encore cette citation carrément complotiste de Zappa: « The illusion of freedom Will continue as long as it’s profitable to continue the illusion. » (L’illusion de la liberté continuera tant qu’il sera profitable de maintenir cette illusion). La liberté n’est qu’un mirage, en fait nous ne sommes pas libre… La vérité est cachée…
Pour Dylan aussi, la vérité s’en est allée:
What is the truth, and where did it go?
Ask Oswald and Ruby, they oughta know
« Shut your mouth, » said a wise old owl
(Quelle est la vérité? Où est elle allée?
Demande à Oswald et Ruby, ils devraient savoir
« Ferme la, » dit une vieille chouette)
Il faut donc interroger l’assassin de JFK (Oswald) ou à l’assassin de l’assassin de JFK (Ruby, qui tua Oswald en direct sous les yeux médusés de l’Amérique)…

Traumatisme par dessus le traumatisme: l’assassin présumé, Oswald, est assassiné par Jack Ruby, le propriétaire d’un nightclub lié à la maffia et à la police de Dallas
GongLuzion:
Cette petite analyse de texte étendue avait pour but de montrer que Dylan affirme non seulement qu’il y a eu complot pour assassiner Kennedy, mais aussi que ce complot marque à ses yeux une chute irrémédiable des USA dans un état de mensonge, de tromperie généralisée, postdémocratique. Dylan s’inscrit dans la plus belle tradition complotiste US.
Et ce qui frappe effectivement est que cela arrive au moment où nous sommes confinés… AU moment de ce « World Transformative Event » qui suscite toutes les interrogations et paranos. Comme s’il voulait apporter sa pierre à l’édifice d’un complotisme qui, s’il culmine aujourd’hui, s’est universalisé grâce à internet depuis 20 ans, et plus notablement ces 5 dernières années.
Depuis le Brexit et l’arrivée de Trump nous vivons des événements qui bouleversent le système monde, et plus précisément le système occidental (Atlantique), basé sur le pétrodollar.
Nous avons vu la floraison du fact-checking et l’universelle accusation de complotisme, de fake news ballancée dans tous les sens. Les bureaux due vérification des fake news semblent refléter mimétiquement les médias indépendants accusés de complotisme qui ont fleuri sur internet et qui ont beau jeu de dénoncer certains faits que les médias mainstream s’obstinent à minimiser.
A mon avis c’est simplement le signe d’un obscurcissement de la vérité général dû à l’émergence d’hégémonies concurrentes: la Chine en premier lieu mais aussi la Russie.
Dans cette concurrence, le complotisme devient la forme universelle de la pensée soupçonneuse tous azimuts. Le « complotiste », comme le fact-checker, tous persuadés d’avoir un rapport privilégié au vrai, rendent les choses encore plus obscures qu’avant et ont une rhétorique similaire.
Mais tout compte fait, je trouve plus cool que Dylan soit complotiste plutôt que dans le camp des fact-checkers et de leur insupportable puritanisme épistémique. Ne voient-ils pas, ces arrogants fact-checkers que leur activité ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qui pourrait être la forme de censure exercée dans un futur Etat Googlesque totalitaire? Ou alors à ceux qu’uilisent déjà leurs adversaires populistes, comme Trump qui leur a renvoyé avec beaucoup d’efficacité et non sans raison les accusations de Fake-news… notamment sur l’histoire de la manipulation russe qui n’a jamais trouvé de preuve substantielle, et où de nombreuses traces de manipulation des services occidentaux sont apparues.
Bref, tout est en train de s’emmêler et je pense que nous allons nous enfoncer dans un brouillard qui sera réellement complètement opaque où la vérité, n’existera pas, où il n’y aura vraiment que des interprétations (Nietzsche), mais à un point que nous n’avons jamais connu.