Aujourd’hui, a lieu un « grand débat » Macronien avec de youtubeurs et des ministres sur twitch, plate-forme destinée aux jeunes youtubeurs qui exhibent leur débilité sur les réseaux sous les yeux ébahis de leurs semblables. Twitch est une entreprise américaine basée à San Francisco, bien sûr. Voilà qui fait dire aux naïfs: il faut plus d’Europe (d’UE) pour créer nos propres géants d’internet. Mais est-ce possible de créer ces géants hypothétiques ? Et est-ce souhaitable de faire subventionner nos startups et autres entreprises technologiques par l’UE?
Pauvres européens. Vous bercez de tant de rêves… A l’heure où l’impuissance constitutive de l’Union Européenne va éclater au grand jour (élections européennes en mai, Brexit), des gourous prophètes comme Laurent Alexandre ou Luc Ferry cherchent encore à vous vendre plus d’Europe… pour enfin rentrer dans la troisième révolution industrielle…
- Laurent Alexandre
- Luc Ferry
Pour comprendre l’absurdité de ce genre d’appel, il faudrait avoir la lucidité d’examiner ce qu’est la Silicon Valley, ce que sont les USA et ce qu’est l’UE.
La puissance nue des USA
Les USA, même menacés par la Chine, restent une structure hégémonique puissante et agressive, et la menace chinoise la rend sans doute encore plus agressive avec ses alliés, comme le démontre Trump. Effectivement, pourquoi ne pas profiter de des partenaires faibles, naïfs, et soumis, pour prévaloir face aux réel danger, soit la Chine?
Pour que l’UE puisse faire émerger des champions high tech, il faudrait que le jeu auquel elle croit jouer soit bien celui auquel elle joue. Mais il n’y a rien de moins sûr.
Conflit ou coopération? Réalisme US vs Utopie de l’UE
Le monde est-il un espace où la raison et la bonne volonté permettront progressivement d’organiser pacifiquement la coexistence harmonieuse, ou alors un espace de conflits où la force demeurera la principale détermination? L’histoire humaine montre que la seconde alternative est bien plus crédible, et le panorama géopolitique actuel réaffirme plus que jamais la prévalence de la force. Pourtant, l’Union Européenne s’atttache à l’utopie de la collaboration pacifique avec une obstination de plus en plus ridicule, particulièrement néfaste en matière d’économie. L’affaire Snowden nous a déjà montré que les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) nous espionnent et qu’elles sont liées intimement aux structures de pouvoir américaines, mais l’on continue de faire comme de rien. D’ailleurs que peut-on faire? Là est le problème.

La colombe et le faucon
Silicon valley: un partenariat public/privé pour l’hégémonie mondiale
La Sillicon Valley est le résultat d’un effort de centralisation constant depuis presque 100 ans, réalisé conjointement par l’Etat central américain, la finance américaine, l’armée américaine et les Universités américaines. Comment l’Europe pourrait-t-elle rivaliser?
La Silicon Valley, nous l’avons déjà vu ici et ici, est une structure verticale qui tend à détruire toutes les verticalité locales, entreprises, gouvernements, et les niveler, les organisant autour d’elle, come une vassalisation radicale. Ainsi des taxis avec Uber, des commerces avec Amazon, de la pub/communication, avec Facebook et Google, et bien plus que la pub, puisque c’est en dernière instance la subjectivité individuelle qui s’y modèle désormais…
Cette hégémonie de l’économie High tech US est si radicale que le peuple américain semble lui-même en révolte face à ses effets disruptifs, avec l’élection de Trump.

Merkel face au méchant Trump qui remet la force au goût du jour
Mythe de 1er niveau: le garage et les self-made men (facile à réfuter)
Voici une déclaration de Bill Gates sur l’industrie informatique US, symptomatique de l’hypocrisie des patrons de la Silicon Valley: “Il n’y a pas d’industrie plus créative, plus vivante et plus compétitive. Et ce qui est extraordinaire est que tout cela est arrivé sans la moindre intervention du gouvernement.” Rien n’est plus faux, bien sûr.
L’économie high tech n’a rien de privé. Ou plutôt: c’est le privé en interaction avec le public (c’est ce que les libertines américains, hostiles à l’Etat central, appellent « Crony capitalism » ou capitalisme de connivence). Derrière le mythe du garage de Google, se cachent en effet des subventions et des partenariats à n’en plus finir, comme le montre en détails cet article de Mother Jones, qui vient confirmer les liens troubles qui lient la Silicon Valley aux structures de pouvoir. On y découvre à quel point le mythe du garage est mensonger. Google a peut-être commencé en 1998 dans un garage, mais non sans de très larges subventions du Département de recherche technologique de l’armée (DARPA), de la NASA et de la National Science Foundation. Pas du tout le mythe du self-made man qu’on nous vend. Et si l’on cherche un peu plus loin, on découvre des liens entre les créateurs de Google et les think tanks et investisseurs liés aux services secrets qui remontent à 1994.

Tout aurait commencé là dedans…
In-Q-Tel, fond de la CIA pour les High Tech
Et à chaque pallier du développement de l’industrie, s’ouvrent de nouveaux canaux de financement, ce qui rend sans doute très difficile d’avoir une idée claire des aides massives allouées aux GAFAM. Ainsi, en 1999, à la fin de la « Bulle internet », se crée le fond de financement de la CIA, In-Q-tel, qui va arroser Google, Facebook et plein d’autres. à tous les échelons le fond d’investissement particulier de la CIA In-Q-tel pour les nouvelles techs. L’article de Mother Jones montre que toutes ces firmes, nées ou non dans un garage, ont systématiquement bénéficié d’exemptions de taxes et de collaborations avec le gouvernement, l’armée ou les services secrets. Et ce au moins depuis les années 30 avec Bell et IBM.

Quelques unes des compagnies financées par In-Q-tel
Certes il n’y a que les très naïfs qui croient au mythe du garage (comme Pascal Perri, journaliste de LCI et chef d’entrerpise, qui nous explique la larme à l’oeil qu’un Marc Zuckerberg n’aurait pas pu créer Facebook dans une France qui par ses impôts inhibe l’esprit créatif des futurs milliardaires!).
Mythe de 2ème niveau: subventions pour les High tech européennes (plus subtil et difficile à réfuter)
Laurent Alexandre et Luc Ferry présentent une sorte de naïveté plus raffinée, et peut-être plus dangereuse. Voici leur argument: si la Silicon Valley est le résultat d’une intégration organique entre le privé et le public, il faudrait faire même en Europe! L’Europe devrait se fortifier pour pouvoir financer, enfin, les technologies européennes. Encore une énième tentative de revivifier le mythe moribond de la “bonne Union Européenne”, dans la droite ligne de l’idéologie de Macron. Je ne suis pas sûr qu’ils y croient, surtout pour le cas du roué Alexandre, qui serait sans doute ravis de voir des subventions européennes arroser la french tech.
Car les nouvelles tech, quand elles arrivent à un certain stade de développement, sont systématiquement rachetées par les GAFAM. Et l’Europe, marché dérégulé par idéologie, selon une doctrine trompeuse et une fausse idée de l’économie et de la géopolitique, est nue face à ces entreprises. L’Europe est un grand marché mais pas un grande puissance.

Nokia, ex-champion finnois tombé dans l’oubli, racheté il y a 5 ans par Microsoft.
Actuellement, quand l’Europe tente de légiférer par des taxes contre Facebook, Amazon, Google ou Uber, le système européen vient se heurter naturellement à ses contradictions. Les taxes, si elles sont adoptées, sont généralement indolores, infinitésimales et symboliques par rapport aux bénéfices des grands groupes. Dernièrement, diverses annonces sont faites, en France notamment, sur de nouvelles taxes, mais elles devraient finir en eau de boudin, comme les précédentes. Et quoi qu’il en soit, les GAFAM ont toujours une longueur d’avance pour délocaliser leurs bénéfices dans des petits pays complices, comme l’Irlande ou la Hollande. Ceux-ci sont toujours prêts à voter contre toute taxe au niveau européen, et à jouer la concurrence fiscale contre les démarches nationales de la France, de l’Italie ou de l’Allemagne.
Quant à la victoire hypothétique d’une élite globale européenne centralisatrice face aux particularismes nationaux, elle ne permettrait jamais une organisation intégrée telle que celle qui a engendré la Silicon Valley. Ces élites européennes sont en effet structurellement intégrée à un système global occidental qui en dernière instance se soumet naïvement à son centre, soit les USA, Wall Street ou la Silicon Valley (on me dira que ces entités sont distinctes, fragmentées et contradictoires, et j’acquiescerai, précisant toutefois qu’elles sont néanmoins de vrais centres de négociation et de décision, contrairement à l’Union Européenne, qui n’est même pas cela).

Jean-Claude Juncker, incarnation des élites corrompues européennes.
Une Europe vassalisée par définition
Le problème est l’intégration au système atlantique et l’intégration de ces élites dans des réseaux interconnectés de corruption. Ceci explique en grande partie la prévalence du mythe d’une économie mondiale coopérative.
Ainsi, toute tentative de faire de l’UE une grande puissance économique ne peut que résulter, paradoxalement, en davantage de faiblesse -et pour l’Europe, et pour les nations qui la constituent. Pour le meilleur ou pour le pire, on ne pourra jamais construire un écosystème intégré par ses élites à travers l’armée, la finance et l’industrie, comme les Etats Unis ou la Chine (et la Russie dans une moindre mesure).
Chine et Russie: succès des nations illibérales dans les IT
Les seuls pays qui sont arrivés à créer un écosystème viable dans la nouvelle économie sont la Chine et la Russie, soit les deux puissances “illibérales” antagonistes au système occidental. Chacune a ses champions nationaux (Weibo, Baidu, Alibaba pour la Chine, Rambler Yandex, VK pour la Russie), et elles n’ont ainsi même pas besoin d’interdire les GAFAM, même si elles leur infligent de sévères conditions. Comme si la démocratie libérale n’était plus la panacée pour les nouveaux enjeux. Ces puissances ont certainement leurs propres réseaux de corruption, mais il est largement isolé (par la contrainte de la force) des réseaux de corruption occidentaux.
French tech et vassalisation économique de la France
Et la French Tech, me direz-vous, dont on entend vaguement parler? La belle Startup nation? Certes la France a toujours eu une ingénierie d’excellence et sans doute les meilleurs mathématiciens du monde avec les Russes. Mais avec des politiques comme Macron ou Sarkozy (élites globales dont nous parlions plus haut), il y a peu à espérer quant à la capacité à mettre leur travail réellement en valeur.
A titre d’illustration, voici un article de Tariq Krim, une des stars de la French tech, qui dresse un tableau apocalyptique de la politique industrielle française en matière de nouvelles technologies. Pour dire l’aveuglement (plus probablement la complicité) de Macron, signalons qu’il a nommé Ambassadeur de la French Tech, John Chambers, patron de Cisco, entreprise dont Tariq Krim souligne qu’elle est “au cœur du complexe militaro-industriel américain”. Et tout est un peu à l’avenant. On a déjà conclu un partenariat entre Cisco et l’Education Nationale. Et il en est de même avec les domaines régaliens de l’Etat comme la DGSI et peut-être même la DGSE) qui utilisent des logiciels produits par des entreprises intimement liées à la CIA et In-Q-tel, comme Palantir, qu’on retrouve aussi chez Airbus!!!
Le mythe éculé de la mondialisation heureuse dirige encore et toujours l’action des politiques européens contre tout bon sens, tandis que pour les américains, la guerre économique est bien une guerre. Et l’article de Krim laisse entendre que cette situation est bien structurelle. Un des meilleurs exemples de cette naïveté (fausse encore une fois et vraie complicité) des dirigeants français est la vente de la branche des activités nucléaires d’Alstom à General Electric. Avec Palantir chez Airbus, on peut s’attendre à d’autres déconvenues. (Six mois après le contrat entre la firme de traitement des big Data et Airbus, le numéro 2 de l’avionneur européen est d’ailleurs parti travailler chez Palantir… à suivre).
Gongluzion:
Dans ces conditions un google européen est tout à fait impossible. Avec ou sans Union Européenne, l’Europe naïvement libérale est donc destinée à stagner, et les joyaux industriels et technologiques européens à être vendus à la découpe.
En gongluzion de la gongluzion de cet article qui me semble pertinent, je vous livre un court extrait de l’une de mes nouvelles. « …Le silence se fit lorsque le vieux Ray Kurzweil âgé de 102 ans (1) qui en paraissait trente de moins grâce aux nanorobots qu’il avait ingurgité au début du vingt et unième siècle se leva de son fauteuil et prononça ces paroles d’une voix solennelle :
« Chers amis, nous sommes réunis pour rendre un dernier hommage au regretté Sundar Pichai, victime de la barbarie des CRIST. Je vais vous demander de vous lever et de respecter une minute de silence à sa mémoire » Le frottement des vêtements contre les fauteuils résonna quelques instants dans l’amphithéâtre puis un silence respectueux ponctué de quelques toussotements s’installa tandis que le logo des H+ s’inscrivait en surimpression du portrait de Sundar Pichai sur l’écran géant.
« Merci ! » dit le vieux bonhomme au bout d’une minute. Puis sans transition il dit « La cérémonie de crémation aura lieu ce jeudi à 16h dans le temple bouddhiste de la Compagnie. La dépouille du regretté Sundar était tellement endommagée par l’explosion que le processus de cryogénisation était impossible. Je compte sur vous tous pour lui rendre un dernier hommage. » Ray se gratta la gorge avant de continuer « Vous avez toutes et tous été destinataires du questionnaire concernant les choix qui s’offrent à nous pour neutraliser ces assassins prêts à tout pour nous nuire. Le traitement de vos réponses et commentaires opéré par ALAN (2) va nous être dévoilé dans quelques instants… » J’ai imaginé cette histoire où il est question de la stratégie guerrière des GAFAM pour éradiquer les CRIST ( combattants des réseaux internet sur Terre ) Tout un programme !