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Donc on a vu dans le dernier post que l’eugénisme, ancêtre du transhumanisme, est un concept forgé par des intellectuels et scientifiques globalistes tels que Bertrand Russel, Julian Huxley ou H.G. Wells, issus d’une classe élitiste anglaise, qui n’ont cessé de promouvoir l’idée d' »amélioration de la race » par l’Etat.

« […] on doit supposer que pour chaque génération, 25 pour-cent des femmes et 5 pour-cent des hommes seront sélectionnés pour être les parents de la prochaine génération , et le reste de la population sera stérilisé […] » Bertrand Russel, The scientific outlook, 1931. Outre l’eugénisme par sélection ou par manipulation génétique, Russell envisage tout type de conditionnements « prénatal » pour obtenir des individus adaptés à son utopie scientiste.

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H. G. Wells (1866-1946), écrivain de Science fiction et futurologue (un Jacques Attali des débuts du XXème siècle)

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Bertrand Russell (1872-1970), philosophe, père de la logique formelle contemporaine et de la philosophie analytique.

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Ce post fait une petite synthèse des visions et propositions tirés de 3 essais de futurologie politique: The Open conspiracy (1929) et The New World Order (1940) de Wells et The Scientific Outlook (1931) de Russell. On y découvre que l’eugénisme s’inscrit dans un scénario global très précis et assez semblable chez les deux auteurs et que je résumerais par ces points:

  • Etat mondial totalitaire et « scientifique »
  • eugénisme et contrôle démographique
  • castes / société stratifiée: ceux d’en haut (qui savent) et ceux d’en bas
  • manipulation psychologique des masses, drogues
  • table rase: eradication brutale de la famille, des états-nation, de la religion

Tout ceci parce qu’ainsi le veulent la « science » et la raison…  Ce programme est donc un impératif catégorique pour Wells comme pour Russell, justifié par une vision de la société empreinte des concepts de Malthus et Darwin (sélection naturelle, lutte pour la survie, contrôle démographique, fonctionnalisme et matérialisme). Le darwinisme social faisait alors partie de la doxa moderniste. En tout cas le concept de Nouvel Ordre Mondial a eu un succès et une postérité certaine, de même que l’image ambivalente de l’Etat global.

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Wells et Russel ont écrit d’autres essais et une infinité d’articles qui vont dans le même sens. Mais il y a aussi bien sûr les romans de science fiction de Wells qui mettent en scène des sociétés futures marquées par la séparation en castes, voire en races différentes. Notamment l’île du Docteur Moreau, sur l’eugénisme et les mutations génétiques. Si ces romans montrent des situations dystopiques où le progrès apparaît nuisible, les essais de Wells, aux titres parfois provocants (The open conspiracy/La conspiration au grand jour), sont d’un optimisme renversant. Wells est-il schizophrène?

Monstres et aberrations génétiques dans l’adaptation cinématographiques de L’île du Docteur Moreau de 1996

 

Ce qui est piquant, c’est que Russell et Wells sont issus de la gauche pacifiste anglaise: le mouvement appelé les « socialistes Fabiens » qui ont créé la London School of Economics, participé à la fondation du Labour Party en 1900,  aussi bien qu’à sa transformation en « New Labour », par Blair en 1994… pour vous dire la longévité, et l’importance de ce… think tank, école de pensée?

Piquant encore est le fait que les deux auteurs des livres séminaux de fiction d’anticipation politique du XXème siècle (George Orwell pour 1984 et Aldous Huxley pour Le Meilleur des mondes), on aussi fait partie de la Fabian Society. Le monde intellectuel anglais était un petit milieu qui se partageait entre quelques salons à la mode. Le cercle des Fabiens en était un parmi d’autres. Nul doute que les oeuvres de ces deux grands écrivains furent alimentées par les discussions avec Wells et Russell ou d’autres Fabiens, écrivains, intellectuels ou politiciens, comme Alfred Milner, propagandiste de l’extension impériale anglaise en Afrique du Sud, dont il fut le haut commissaire (préfet colonial) ou le géographe Halford Mackinder, le grand Stratège de l’impérialisme anglais au tournant du siècle qui est aussi le père de l’OTAN.

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George Orwell (1903-1950), auteur de 1984, écrivain de gauche qui a dénoncé l’élitisme des socialistes fabiens, après les avoir quittés (dans The Road to Wigan Pier

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Aldous Huxley, 1894-1963, auteur du Meilleur des mondes,, futurologue fasciné par la manipulation psychologique. A initié toute l’intelligentsia US aux joies du LSD. Frère de Julian Huxley et petit fils de Thomas Huxley, le « bouledogue de Darwin.

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Table rase + lavage de cerveau:

Eradiquer l’Etat Nation, la religion, la famille…

Selon un présupposé fonctionnaliste qui célèbre la science et réprime ce qui n’est « pas rationnel », Wells souhaite « détricoter » tous les liens affectifs: Famille, Nation, Religion, ce « réseau de traditions et de loyautés » qui nous conduisent à la guerre et  qui sont en concurrence avec le gouvernement « scientifique ». Russel n’en pense pas moins, qui nous explique que les changements sociaux et mentaux obtenus en URSS grâce à la propagande et l’éducation politique ne sont rien en comparaison de ceux que l’Etat mondial produira! Ces transformations sociales sont indispensables pour obtenir une solidarité totale avec l’Etat, surtout en ce qui concerne les castes supérieures, qui doivent faire preuve d’une fidélité fanatique ( c’est du totalitarisme dans sa pure essence… et c’est ainsi qu’Orwell et Huxley le montrent dans leurs fictions).

Russel, anticipe par exemple que l’Etat espionnera les gens au moyen de micros pour y supprimer toute forme d’amitié et de complicité, considérées comme autant de frein à l’efficacité! « Les Freudiens nous ont montré que les liens affectifs étaient source de complexe », voilà comment il peut justifier sa croisade contre les sentiments. Et pour éradiquer ce « réseau de traditions et de loyautés », il y a l’éducation et la manipulation psychologique de masse ( à cet effet, nos deux auteurs attendent beaucoup des progrès de la psychologie comportementale, mais aussi du freudisme).

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Big Brother is watching you, slogan paranoïaque de l’Angsoc dans le 1984 d’Orwell. Incarnation iconique de l’Etat totalitaire, il est le seul support d’affectivité autorisé. L’angsoc (socialisme anglais) est un parti unique qui fait penser irrémédiablement aux socialistres fabiens (fondés en 1884), surtout si l’on a lu The Open Conspiracy et The scientific outlook de Russell. C’était certainement le cas d’Orwell et d’Huxley.

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Des socialistes pro-capitalistes

Wells comme de Russel se disent socialistes et ils sont pour collectivisation absolue. Mais au contraire des Marxistes, ce n’est pas le prolétariat qui est mis à l’honneur, mais, élite oblige, « l’homme fonctionnel », comme le dit Wells, soit le capitaliste lui-même… éclairé par le scientifique (ce n’est pas le prolétariat qui va financer la science…). Du coup, c’est la centralisation du capital qui créera les conditions du socialisme! Quand il n’y aura plus qu’un monopole, alors ce sera l’Etat mondial, et il effectuera la collectivisation! On se rappelle de la World Company des Guignols, dans les années 90…

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Emblème des Fabiens…  un loup déguisé en agneau… C’est louche… Ou trop franc?… La Conspiration Ouverte? Elitistes, les Fabiens entendent agir de façon discrète, voire invisible… A la différence des révolutionnaires, ils sont réformistes, ou plus exactement « gradualiste »… petit pas par petit pas. Ils agissent comme ce Général romain, Fabius Cunctator (Fabius le temporisateur) dont ils tirent leur nom, qui battit Hannibal en lui laissant croire qu’il ne lui résistait pas…

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« C’est ça ou la guerre »… l’argument massue des pacifistes autoritaires


Une même rhétorique unilatérale, très fabienne, est à l’oeuvre chez Russell et Wells: la pseudo-justification morale est la science, et le grand repoussoir, la guerre, dont sont jugés responsables les gouvernements nationaux. Il faut donc, au nom de la science, au nom la paix, les éradiquer, ainsi que ce qu’on aveu plus haut. Alors, Wells et Russell sont prêts à admettre la violence, du moment qu’elle est exercée contre les forces qu’ils jugent réactionnaires.

« Un nombre incalculable de gens […] haïssant ce nouvel ordre mondial, et subissant son avènement comme un malheur et une frustration de leurs passions et ambitions, mourront sans doute en protestant contre lui. » [The Open conspiracy] Avant cette éventualité, Wells entend utiliser des méthodes moins extrêmes: manipulation psychologique de masse, (ré)éducation ou lavage de cerveau.

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The Shape of things to comme,  film (visible ici) tiré d’un livre de Wells et sorti en 1936. Après 20 ans de guerre mondiale, l’Angleterre est reduite à une rusticité moyenâgeuse et est commandée par une sorte de Mussolini britton, vêtu d’une peau de bique. Heureusement, la science a été préservée quelque part (en Méditerrannée) et une humanité futuriste transfigurée par le progrès se manifestee à travers un messager messianique. La fédération mondiale baptisée World Communication demande demande la soumission de toutes les nations à l’ordre mondial scientifique.. Face au refus d’obtempérer du tyran fascistoïde, l’Angleterre est soumise au camp de la science grâce à un « gaz de paix » (peace gas). (Russell comme Wells envisagent en effet dans leur deux essais toutes sortes de drogues susceptible d »induire le consentement et la satisfaction chez les heureux citoyens de l’Etat monde, qu’on retrouve dans Le Meilleur des mondes d’Huxley) La sortie du film en 1936 ne manque pas d’interroger sur les motivations de Wells. Il a travaillé pour le Bureau de Propagande de Guerre anglais durant la première guerre mondiale et a toujours été proche des cercles de pouvoirs modernistes de l’Empire britannique, malgré sa volonté d’éradiquer le nationalisme.

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Tant de choses restent à dire sur ces 3 essais de Wells et Russell. Ils sont tellement emblématiques de la dystopie technique, centrale dans la science fiction d’aujourd’hui, qui est aussi la culture et peut-être la vie. Ils disent tellement sincèrement et naïvement l’asservissement de l’humanité par la technique… (et par la drogue…c.f. Huxley et le LSD) Et avec un optimisme moderniste tellement étranger à notre état d’esprit actuel (sauf dans la caste des ingénieurs sociaux, communicants qui font bien sûr partie du cauchemar technique…) Et cette obsession pour Darwin… Il ne leur manque que la cybernétique, qu’Aldous Huxley contribuera à développer dans les années 40, avec d’autres scientifiques, héritiers de Wells et Russell, comme Gregory Bateson, collaborateur, et peut-être fondateur de la CIA.

Bref, tous les thèmes favoris d’Interstrate depuis 1 an et demi planent autour Wells de Huxley et Russell, et ces auteurs montrent aussi le lien irrémédiable, à la fois évident et secret, entre la fiction et la réalité.

Quant à la position d’autorité scientifique de laquelle Russell comme Wells prétendent parler, elle me semble tellement absurde… La science ne nous dira jamais comment on doit vivre sa vie ou ce que la société doit être, etc… Elle s’occupe des moyens, non des fins… D’ailleurs, il faudrait plutôt parler d’ingénierie que de science… Et Russell devrait le savoir, lui qui a certes refondé la logique formelle dont sont issus les langages informatiques actuels, mais qui connait aussi l’histoire de la philosophie et de la science.

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Dans Terminator, Skynet, l’entité informatique, envoie ses robots pour détruire l’Humanité selon un calcul rationnel qu’elle a fait, pense-t-elle, pour le bien de l’Homme (Autrement dit, elle respecte les lois de la robotique d’Asimov). L’apocalypse rationalisé par les machines est un scénario récurrent de la science fiction (comme dans Alien, par exemple).

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