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Le Comité du parti démocrate, organisme dirigeant du parti démocrate largement acquis à Hillary Clinton, a conspiré pour faire que Trump gagne la primaire du parti républicain. Cela a l’air d’une « fausse nouvelle », n’est-ce pas? Pourtant, ce sont les médias dits « officiels » qui le rapportaient il y a 1 mois, après avoir consulté Wikileaks. Le plan consistait à favoriser les positions conservatrices extrêmes qui aux yeux des responsables du parti ne seraient pas viables et décrédibiliserait le candidat qui les porterait, permettant à Clinton de gagner facilement. Voyez l’aveuglement!

Comme pour la mésaventure du Washington Post et avec les fausses nouvelles que je vous ai racontée ici, c’est l’histoire archétypale de l’arroseur arrosé. Et ce d’autant plus qu’on sait (aussi par Wikileaks) que le même comité a manipulé la primaire pour défavoriser Bernie Sanders. On est puni par là où l’on a péché. C’est un retour du refoulé qui nous arrive du fond des abysses où la néogauche (ou gauche culturelle) mariée au capitalisme croyait avoir à jamais précipité tous ses ennemis.

Ce que j’appelle la « néo-gauche », dont Hillary est emblématique, c’est une structure morale issue du tri sélectif effectué par le capitalisme mondialiste dans les valeurs de gauche pour n’en garder que ce qui lui convenait: démocratie, antiraciste, droits humains et de l’individu, liberté, respect de l’autre, etc. C’est une idéologie qui se concentre exclusivement sur les minorités, réelles ou fantasmées, et abandonne les classes populaires et la notion de peuple, délaissant ces dernières à la droite radicale. C’est la gauche sociétale contre la gauche sociale. Les élites mondialisées se sont toutes plus ou moins alignées sur cette idéologie qui permet d’asseoir leur magister moral sur leurs adversaires, de gauche et de droite.

C’est l’empire du bien (tel qu’en parlent Baudrillard et Philippe Muray) et son armée, la com, et son idéologie de combat, le politiquement correct. C’est la continuation de l’oeuvre de Reagan et Thatcher mais armé de toutes les prérogatives morales de la gauche.

L’arrivée de Trump bouleverse cette suprématie: va-t-on assister au reflux de cette alliance entre les forces du capitalisme et l’idéologie de la néo-gauche? Le capitalisme va-t-il l’abandonner pour se lancer maintenant dans un programme inverse, de déconstruction de l’ethos inclusif et tolérant du politiquement correct? Les déclarations de Trump, ainsi que les stratégies incendiaires de la néo-gauche (comme celle qui fait le titre de ce papier) le laissent craindre, et c’est ce que je veux montrer ici.

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« Et celui qui arrose sera lui-même arrosé. » la Bible, Proverbes 11:25

La stratégie de diabolisation

Par l’anathème, l’idéologie politiquement correcte évacuait tout ce qui dérangeait la mondialisation, qu’on traitait de nazi ou de staliniste de façon caricaturale. Rappelons qu’en France, Mitterand a été un maître en matière de diabolisation. Il a tout fait pour favoriser la montée du Front national afin de créer une scission dans la droite, et d’en faire sortir une partie hors du champs du politiquement correct. Le même genre de stratégies ont été employées partout pour évacuer les adversaires de l’Europe, ceux qui voulaient réguler l’immigration ou les conservateurs sociétaux qui, ente autres, questionnaient le mariage homosexuel. Petit à petit les « mal pensants » étaient contraints hors des espaces médiatiques officiels de l’empire du bien. Et la gauche traditionnelle n’est pas épargnée, puisqu’on est parvenu à qualifier Bernie Sanders de sexiste et même de raciste. Jeremy Corbyn, leader du Labour party en Angleterre, opposé à la néo-gauche (new Labour), a lui été accusé d’antisémitisme pour avoir émis des critiques sur la politique d’Israel.

Gouverner par l’assiette centrale

Mais il est vrai qu’il est plus facile d’affubler la droite radicale de ce genre de qualificatifs, et c’est là le problème de la méthode de la diabolisation. Toute la stratégie menée par Mitterand, Clinton (Bill) ou Blair a consisté à gouverner par le centre en laissant les extrêmes diaboliques s’annuler, puisque la gauche et la droite radicales étaient par nature irréconciliables, et jugées incapables de prendre les commandes du pouvoir. Mais cette stratégie de confinement est arrivée progressivement à ses limites:

1)  L’assise du centre techno-mondialiste s’est petit à petit réduite

2) la gauche radicale s’est ratatinée

3)  la droite radicale (populiste, si vous préférez) a enflé démesurément.

Bien sûr, cette évolution asymétrique était en contradiction avec la stratégie d’équilibration et d’annulation des deux « extrêmes » décrite plus haut, sur laquelle reposait la légitimité de l’assiette centrale des « partis de gouvernement ». Pourtant la néo-gauche mondialiste s’est effectivement employée activement à faire gonfler la droite « populiste » et à marginaliser la gauche par tous les moyens, comme les actions anti-Bernie et pro-Trump du Comité national démocrate le montrent.

C’était bien pratique de pousser tous les adversaires de la mondialisation vers la droite radicale, tellement en contradiction avec le catéchisme moral du politiquement correct. Son racisme allégué ou réel était le meilleur repoussoir moral, tandis que la gauche traditionnelle était plus à même de rappeler à la néo-gauche ses contradictions et ses trahisons.

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L’assiette du centre en bleu foncé sur la courbe en cloche standard (Gauss) que chérissent les statisticiens et marketeurs qui nous gouvernent. Ajourd’hui la cloche s’est sûrement considérablement déplacée à droite.

Voilà comment la gauche « bien-pensante » a gonflé un blob de ressentiment qui menace aujourd’hui de renverser tout l’édifice du capitalisme anti-autoritaire, tel qu’elle l’a patiemment construit ces 30 ou 40 dernières années.

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Le Blob, 1988. Une masse informe qui évoquait peut-être celles que représentent les graphiques des statisticiens

Le paravent moral a trop servi

Avant le cataclysme actuel, le catéchisme moral du politiquement correct, qui servait pour anathèmiser et diaboliser, a bien été le paravent des pires turpitudes et corruptions. Comme celles qui ont éclaté au grand jour lors de la crise de 2008, où la mondialisation est soudain apparue sous un jour sinistre et apocalyptique. Et les législations accommodantes de Bill Clinton vis-à-vis de Wall street n’y étaient pas pour rien! Pour imposer ces politiques néolibérales, le politiquement correct a servi de morale de substitution à la néo-gauche qui non seulement avait abandonné le prolétariat et les ouvriers (les pauvres), mais croyait qu’ils n’existaient plus! Or, depuis 2008, on sait en Occident que nous sommes dans un processus continu et durable de paupérisation.

Dans la même optique d’instrumentalisation, c’est au nom de la démocratie et des droits de l’homme qu’on mène depuis des années une politique néocolonialiste (dite néoconservatrice) et prédatrice dans le monde entier. La guerre en Syrie est emblématique à cet égard. C’est en soi une opération de communication où la presse « officielle » du monde entier s’est compromise d’une manière honteuse, ce qui est heureusement en train de devenir assez apparent. Il s’est agi d’une grande campagne cognitivo-militaire où toutes les opinions de gauche occidentale ont été mobilisées par le lobbye pro-guerre US (oui, celles-là mêmes qui avaient protesté contre Bush et la guerre en Irak) . Aux sacro-saints mots-d’ordre de Liberté et de Démocratie, et à la vue d’un (méchant) dictateur, elles ont joué leur rôle pavlovien dans un scénario écrit à l’avance pour détruire un pays, afin d’y faire passer un pipeline!  Dans ce scénario, de grandes ONG et les terroristes payés par les pays du golfe étaient également essentiels. Et les emails d’Hillary montrent qu’elle était au coeur de cette opération militaro-communicationnelle, en tant que cheffe de la diplomatie Etats-unienne.

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Garçon syro-palestinien (10 ans) avec un cathéter encore branché sur le bras. Il a été décapité (avec 1 canif) par des « rebelles modérés » soutenus par les USA.

La néo-gauche a bafoué toutes ses valeurs

Tout ça pour dire que la néo-gauche mondialiste, Hillary Clinton au premier chef, a travaillé d’arrache-pied pour décrédibiliser toutes les valeurs dans lesquelles elle se drapait. En les instrumentalisant pour masquer ses turpitudes, sa compromission avec les forces financières les plus corruptrices et pour museler tout les opposants à la mondialisation, elle les a vidées de leur contenu.

La néo-gauche a été créée par le marketing

Mais n’est-ce pas là le propre du marketing, de l’activité de « créer des marchés », que de détruire les structures sociales et les « valeurs »  qui leur barrent la route? Comme les notions de « justice », de « collectivité », de « famille » et même d' »Avenir »? Il les détruit en captant le désir qui les fait consister, comme dit Stiegler (mon post sur L’épuisement du désir et Stiegler), ce qui atomise notre société en une foule d’individus désaffectés. (Dans ce document sur la publicité post-moderne qui date déjà de 1998, on peut constater l’ effritement des valeurs en comparant la colonne valeurs modernes face aux valeurs post modernes, sur la deuxième page.)

Or le marketing est le compagnon de route de la néogauche, peut-être même son inventeur et son modèle, et il l’a bien aidée à oublier les « pauvres » et le concept de « classes sociales ». S’inspirant du marketing, elle a  fractionné la société en catégories divisibles à l’infini, les a classées en termes d’aspirations, de valeurs (où l’on voit la particularisation et la relativisation des « valeurs »), en styles de vie (VALS, Values And Lifestyles System). Avec Tony Blair et Bill Clinton, c’est la première fois que les études de marché et les « focus groups » (techniques d’entretiens avec des catégories de clients tirée de la fragmentation du VALS) ont servi à concevoir le gouvernement d’un pays à un niveau microdécisionnel. Dans le documentaire capital qu’est Le siècle du moi (troisième chapitre, en trois parties), on voit les plus proches collaborateurs de Bill Clinton et de Tony Blair expliquer l’absence totale de vision des deux leaders et la gestion automatisée par les sondages qu’ils ont pratiquée. Cette cybernétique politique qui signifie le gouvernement à vue, sans aucune ligne, le nez sur les sondages et à grand renforts de communication, a été adoptée par tous les politiques d’Occident (la France n’est pas un moindre exemple). C’est ce qui a fini par complètement décrédibiliser la politique aujourd’hui.

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Matthew Freud, l’un des gourous de la com qui ont inventé le  « New Labour ». Son arrière-grand-père était Sigmund Freud, et son grand-oncle, Edward Bernays, inventeur des relations publiques.

L’heure de payer l’addition

Encore une fois, la néo-gauche est entièrement coupable d’avoir créé les monstre « populistes » qui menacent de l’écraser et qu’elle essaie vainement de conjurer par ses invocations morales. C’est là qu’il est piquant, comme on dit dans les meilleures maisons, de revenir aux révélations de wikileaks sur la stratégie consistant à favoriser les candidat « extrémistes » des Républicains. Elles dénotent une confiance absolue des démocrates dans le système de digues « Morales » sur lequel ils comptaient comme sur une assurance éternelle de sa suprématie. C’était un cas d’hybris (« excès », « démesure », « orgueil ») et l’issue est effectivement digne d’une tragédie grecque.

Leur stratégie durant ces 30 dernières années a consisté à remplir une cuve de ressentiment qu’ils entretenaient savamment. Ce blob de réprouvés qu’ils ont alimenté à dessein, c’était le mal absolu que la néo-gauche ne cessait tartuffement de dénoncer, en gardienne du bien et de la vertu. Et maintenant, ils se le prennent sur la figure.

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Encore le Blob (1988), une masse informe qui avale tout

Le pari gagnant de Trump

Trump à l’inverse a eu le nez d’un bon joueur de poker. Il a parié que ce système dans lequel les médias se sont compromis au plus haut degré était à bout de souffle. C’est aussi le fait qu’ils étaient manifestement contre lui qui l’a aidé. L’élection était un référendum contre le marketing politique et contre les médias. Dans une stratégie contracyclique, Trump a incarné le sale type qu’ils voulait qu’il soit avec la plus parfaite constance, se montrant vulgaire, raciste et provocateur à souhait. Une personnalité clivante, mais constante dans sa ligne. Qui ne s’en excuse pas, et l’accentue même face à l’indignation morale. Voilà la différence qui a fait la différence dans le produit politique Trump.

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