« Voilà, ça c’est fait ». En général ce gimmick sort à la suite d’un faux pas social. Genre je déclare à Isabelle qui est venue accompagnée: « Alors finalement tu te décides à me présenter Pablo ! » Et Isabelle me répond toute rouge: « Mais non, lui, c’est Fred. Ca fait un mois qu’on est ensemble » Du coup, je n’ai plus qu’à m’exclamer sous forme d’aparté: « Voilà, ça, c’est fait. », comme si je cochais une case sur une liste de tâches.

Ce gag prémâché ne cesse de m’énerver. Il est symptomatique d’une société où l’individu doit ou devrait gérer sa vie comme un poste de travail, avec efficacité et logique. « Ca, c’est fait. » (le Voilà est en option) est une antiphrase par laquelle, je montre que j’ai conscience d’être sorti des clous et d’avoir été peu performant socialement.

Parfois, on peut vraiment avoir (ou du moins s’imaginer avoir) une liste de tâches. Exemple: je commence une discussion/mise au point sur mon couple avec ma copine. De fil en aiguille, les mots s’enchaînent vers le point de non retour et on en arrive à la conclusion qu’une rupture est inévitable. Larmes, rage et amertume. Sur le champ de ruine de notre couple, je grommelle: « Voilà, ça c’est fait. » L’avais-je planifié dans mon agenda? Peu importe. Cocteau le disait: « Puisque cette situation nous dépasse, feignons de l’avoir organisée. »

J’ai même entendu parler d’une personne qui avait subi un tabassage en règle. Cela faisait un moment qu’il avait une compte à régler avec un type aussi incontournable qu’intraitable. En pansant sa face tuméfiée dans une salle de bain, il murmura doucement: « Voilà, ça c’est fait. »

Bien sûr, c’est dans le monde du travail, où elle a dû apparaître (avec la liste de tâche), que notre locution s’épanouit à merveille. Vous venez d’annoncer votre démission ? Ou des résultats désastreux? Vous avez raté votre présentation de projet? Ou alors au contraire, vous venez de licencier quelqu’un? Dans toutes ces situations et bien d’autres, elle sera parfaitement et tristement adéquate. On y sent une jubilation malsaine, presque masturbatoire. « Je gère mais je ne me prends pas au sérieux. », veut-on se persuader.

On peut donc inférer deux fonctions sociales du « (Voilà), ça, c’est fait. ».

1) Aparté, il permet de se distancier d’une situation émotionnellement compliquée.

2) Grâce à lui, le locuteur peut s’affirmer comme acteur, alors même qu’il est pris dans un processus qu’il ne contrôle pas vraiment.

Je crois que si je déteste cette expression, c’est bien parce qu’elle est un symptôme de la porosité entre vie professionnelle et privée. Dans la première, la comédie de la familiarité est devenue obligatoire, tandis que la deuxième est souvent minée par la une logique comptable/individualiste importée du travail. Au carrefour du travail et de la vie privée, il y a la téléréalité qui représente parfaitement la fusion de ces deux réalités dans le spectacle. Il n’y pas un épisode de Secret Story où ne résonne notre locution.

Attendus tous les aspects repoussants de la vie moderne que charrie « Voilà, c’est fait », je déclare en conclusion de ce tribunal de salubrité verbale sa mise au pilori. Rendez-vous dans un prochain post pour l’exécution d’une autre expression déplaisante.