La contrainte du cadre
Dans une biennale d’art contemporain, on ne peut pas présenter un objet seul. Comme il est impossible de faire abstraction du cadre, le curateur ou l’artiste doit forcément trouver une façon d’habiter le lieu de manière plus ou moins heureuse.
Tristement, l’installation n’est souvent qu’une vague mise en scène sans imagination: des étagères avec de la poussière, quelques photos, belles sans doute, mais il y a tant de photos, des objets intéressants, mais sans motivation générale. C’est le royaume des structures prétextes: des fils de fer, des miroirs, des échafaudages, quelques objets, encore des photos, des peintures, des photos, etc.

Où qu'on soit dans le pavillon italien on fait des photos interréssantes qui ressemblent à des collages bizarres
Le pavillon italien, dans l’Arsenale, est par exemple une véritable machine à neutraliser la force des oeuvres. Plus de 200 artistes exposés! Peintures, sculptures installations sont amassées dans tous les sens et sans ordre, agglutinées, presque agglomérées, articulées par une structure sinusoïdale jaune qui rappelle des montagnes russes. Avec des néons partout, on se croirait à Las Vegas. Mais il y a comme une déperdition: ce parcours Ikea psychédélique est rigolo, mais c’est une esthétique du n’importe quoi qui cache un vide abyssal.
Dans le cas de l’Italie, le problème résulte aussi d’une démarche bâtarde: un curateur qui met en scène les oeuvres d’autres artistes ne rentre-t-il pas en dangereuse concurrence avec celles-ci?

"L'arte non è cosa nostra": le slogan du pavillon italien, un jeu de mot qui veut tout et rien dire.
Strate d’or pour la Tchéquie
En revanche, je me sens vraiment absorbé quand je pénètre un espace régi par des règles incompréhensibles mais cohérentes. Il en est ainsi du pavillon tchèque/slovaque à qui sans hésiter je décerne la strate d’or de la Biennale 2011. Ici, tout a été conçu par l’artiste Dominik Lang du début à la fin. Voyez:
Du bronze pour la Suisse!
Bien des lieux visités sont habités par la nostalgie d’un passé vécu et/ou inventé. Je m’y sens comme le visiteur des ruines de notre monde. Trop souvent l’obsession de la société du spectacle tourne machinalement et se mord piteusement la queue: à partir de pubs, d’emblèmes, de stars, d’objets, on fait des ready made encore plus désespérants que ce qu’ils évoquent, avec en prime un clin d’oeil vulgaire. Où est l’art dans un test de Rorschach à une seule réponse possible? Il en est ainsi de l’esthétique de l’amas du pavillon italien: elle mime bêtement la logorrhée de concepts et d’images de notre société et rien de plus. Heureusement, notre pavillon national évite de justesse cet écueil grâce à l’outrance assumée de Thomas Hirschhorn (vous savez, celui qui a fait perdre un million de francs à pro-Helvetia en 2004).
L’artiste zurichois crée un surprenant bazar détraqué, fait de brics, de brocs et d’artefacts de la culture globalisée, le tout envahi par d’énigmatiques cristaux. On perçoit paradoxalement, dans cette caricature de production sériée, le travail des mains de l’artiste bricoleur derrière des scotchages baclés ou des applications d’alu approximatives. Certes, pour la énième fois, j’explore les ruines, les restes, les maladies de l’homme et de la machine, une sorte de cancer généralisé qui aurait fait exploser le système.
Mais ici, la mise en scène est saisissante. S’agit-il d’aliens qui ont laissé ces cristaux? Ou alors ce sont ceux, liquides, de nos écrans qui se seraient soudain solidifiés pour vitrifier toute vie sur terre?… Bon, malgré un titre typiquement mainstream art con (Cristal of resistance… ça donne un côté militant un peu ridicule, non?), Strates de bronze pour Thomas Hirschhorn et son pavillon baroque post apocalyptique!
merci pour la visite! Ca fait du bien d’approcher l’apocalypse.
petite question: à qui/quoi est décernée la strate d’argent??
Biennale de Venise: c’est le Bronx à Venise.