Vous savez sans doute que dans notre économie mondiale virtualisée, les jeux online reproduisent les rapports économiques internationaux. Selon un rapport 2011 de la banque mondiale, 80 000 chinois travaillent 12 heures par jour à accumuler des pièces d’or dans des univers virtuels, pièces qu’ils échangent online contre de vrais dollars. Il y a deux mois, on a carrément appris que des prisonniers politiques effectuaient ce travail de collecte pour le compte de leurs geôliers, voire de l’Etat.
Mais saviez-vous que ces « travailleurs immigrés digitaux » sont victimes d’agressions racistes par certains joueurs occidentaux qui planifient des pogroms virtuels accompagnés d’injures racistes -celles-là bien réelles- transmises en chat ou en audio-chat?
Lisa Nakamura, chercheuse en médias sociaux chez Microsoft et professeur d’ « Asian american studies » à l’Université d’Illinois, a exploré ce racisme geek US. Voici un clip de RnB parodique en 3d dans le monde de « World of Warcraft » (WoW) dont elle illustre ses travaux. C’est un bon catalogue des griefs accumulés contre les travailleurs virtuels. Et ça ressemble beaucoup aux reproches des occidentaux contre les Chinois et leur économie dans le monde réel: invasion, travail illégal, thésaurisation, non communication, refus de consommer.
Le goldfarming est la cible et le prétexte de toutes les attaques racistes anti-asiatiques. « Goldfarmer », c’est ramasser de l’or et des biens dans l’univers du jeu afin de les revendre dans le monde réel. Aux yeux de beaucoup de purs et durs, c’est une activité méprisable. Le goldfarmer est un intrus, un profiteur qui ne joue pas vraiment le jeu, contrairement au joueur prenant la peine d’incarner un personnage, et qui en attend autant des autres. Dans le clip ci-dessus, les paroles sont assez descriptives, mais au milieu, le rappeur affirme bien la nocivité des goldfarmers et explique que la seule solution est l’élimination de leurs avatars.
Bien entendu, il y a de vrais joueurs asiatiques, et il existe sans doute des goldfarmers occidentaux. Mais la montée du goldfarming oriental et les regroupements par affinités linguistiques ont développé une attitude xénophobe qui voit derrière chaque joueur asiatique un goldfarmer. Lisa Nakamura montre dans cette conférence comment ce statut de travailleur virtuel clandestin devient une catégorie du racisme du cru qui y range toute une communauté. Comme dans la vraie vie, le travailleur clandestin est présent dans l’univers et y travaille sans en avoir la légitimité, voire le droit, aux yeux des « natifs ».
Les natifs, ce sont ceux qui utilisent le jeu de façon légitime – c’est-à-dire ludique- et qui se considèrent comme les vétérans. Leur rejet des goldfarmers est assez compréhensible: ils les ont vu arriver, suivis de nouveaux joueurs occidentaux qui ont pu atteindre leur niveau -indûment à leurs yeux- grâce à l’achat de « biens farmés ». La croissance du goldfarming provoque naturellement une chute des prix des biens virtuels sur les marchés réels. En d’autres termes, le goldfarming dévalorise l’univers symboliquement et économiquement. Et techniquement, puisqu’une excessive présence d’avatars sur un lieu de WOW peut créer des bugs dans l’action du jeu. Bref, dans les sous-cultures des gamers, ces charges sont souvent imputées aux joueurs du Levant dans leur collectivité. La chercheuse montre cette vidéo de South Park où les personnages évoluent dans WoW et croisent de nombreux avatars dont ils supposent que ce sont pour la plupart des goldfarmers coréens. Et ci-dessous, « Les goldarmers chinois doivent mourir » , un petit film qui présente lyriquement les expéditions punitive d’un groupe d’avatars dans WoW:
Lisa Nakamura cite aussi l’univers du jeu « Lineage 2 », où des nains femelles sont plus aptes que d’autres personnages à gagner rapidement pièces d’or et objets magiques, et donc à « goldfarmer ». Du coup, de nombreux occidentaux massacrent systématiquement les naines. C’est encore un cas dérangeant et inédit que ce génocide virtuel contre une race d’avatars assimilée à une origine ethnique réelle.
Une autre étude, de Douglas Thomas, parue aux presses du MIT en 2008 montre comment s’est organisée cette sous-culture raciste sur une autre plateforme de jeu: « Diablo 2 ». Au début des années 2000, l’intrusion massive de joueurs coréens a créé des problèmes de cohabitation aigus. Les bugs de serveur se sont faits plus fréquents et certains « natifs » ont commencé à protester contre les Coréens. Des forums se sont mis en place où différents groupes tels que Korean Player Killers Incorporated (KPK) se mobilisaient avec le but spécifique de tuer des goldfarmers coréens. Leurs membres s’autoproclamaient les « Feds » (agents du FBI) et ils dressaient même des listes d’avatars de goldfarmers coréens à éliminer affichées sur leurs forums.
Un racisme online ex-nihilo (i.e. non motivé par un facteur ethnique réel) existe aussi. Dans Communities of play: emergent cultures in multiplayer games and virtual worlds, l’anthropologue Celia Pierce raconte comment les natifs du « monde de URU » sont devenus une diaspora d’apatrides virtuels à la suite de la fermeture des serveurs de URU en 2004. Ils ont ensuite prolongé la vie de URU sur des forums où ils épanchaient leur nostalgie du monde disparu, de ses paysages et de ses aventures, notamment avec des poèmes et des dessins. Puis, la communauté des joueurs a tenté de se migrer dans d’autres mondes virtuels pour se reconstituer. Que ce soit sur Second Life ou sur There.com, ils ont apparemment subi l’intolérance des locaux qui trouvaient que ces immigrés de URU refusaient de s’intégrer. Ces derniers leurs répondaient que leur culture d’Urubien devait être respectée, ce qui ne faisait qu’entretenir les incompréhensions.
Pour une fois l’histoire se termine par un happy-end, mais après une très longue errance. Ce n’est en effet qu’en 2010 que les boatpeople d’Uru ont pu retrouver leur monde enfin réactivé.
Très intéressant !
Dans le Jeu Allods Online, l’inscription est gratuite, contrairement à WOW, mais on peut acheter des objets avec de l’argent réel à l’intérieur du Jeu. Pour le moment c’est plutôt la boutique officielle qui fait des affaires, mais j’imagine en lisant cet article qu’il doit aussi exister un marché noir.
sales bêtes ces racistes, forza la mixité ethnique
Il faudrait peut-être encourager les « nettoyeurs » de WOW à sortir de chez eux, voir du pays et comprendre pourquoi, sur WOW, d’un côté de la Terre on y travaille et de l’autre on s’y amuse. On assiste partout à la même dérive, à la même intolérance, où le fait d’être pauvre est une faute en soi.
Ceci dit, les américains (et nous-mêmes?) risquent fort de ramasser de l’or pour les chinois à l’avenir. Merci pour ce post des plus intéressants, Guillaume